NUMÉRIQUE RESPONSABLE | STRATÉGIE

[DOSSIER, LE RÔLE ÉLARGI DE LA DSI 1/2] LES ENJEUX DE LA DSI

Janvier 2024

Suite à la 3èmeédition de GreenTech Forum Paris, et en vue de la première édition de GreenTechForum Brussels (18-19 juin 2024), retour sur ce qui s’est dit pendant l’événement avec les speakers invités sur scène à Paris.

Les Directions des Système d’Information (DSI) exercent un rôle de plus en plus précieux pour l’organisation. Face à une empreinte environnementale numérique grandissante, elles doivent mettre en mouvement toute l’organisation autour d’enjeux qui concernent de plus en plus de monde en interne.

« Capgemini est un véritable fer de lance de la Sustainable Transformation ». Pour Laurence Jumeaux, "Vice President” au sein de l’entité Business Technology chez Capgemini Invent, la marque d’innovation digitale, de conseil et de transformation du groupe Capgemini, l’impulsion vers le numérique responsable est largement donnée depuis déjà plusieurs années. C’est en 2020 qu’elle lance Capgemini vers le Numérique Responsable (NR) : offre NR, Diagnostic NR puis feuille de route pour la DSI du groupe. Pour Laurence Jumeaux, responsable de l’offre NR au niveau mondial pour Capgemini Invent, l’objectif est clair : -55% de GES (Gaz à Effet de Serre) liés au numérique d’ici à 2030.

A travers la stratégie adoptée, Capgemini entend travailler, bien sûr, sur les scopes 1 et 2 de l’organisation, c’est-à-dire le SI de Capgemini et les services qu’elle produit mais également sur le scope 3 : ce que génère les phases d’utilisation des services développés pour leurs clients. C’est tout l’enjeu des entreprises travaillant leur stratégie numérique responsable : mettre en mouvement en interne et favoriser la prise en compte globale de l’empreinte environnementale créée.

A travers les scopes 1 et 2, le point de départ de Capgemini est les PC. Enjeu particulièrement visible, il est entre les mains de quelques décisionnaires au sein de la DSI en capacité d’acter comment réduire l’empreinte de ce premier périmètre qui comprend la majorité des impacts de l’IT. « 73% de l’empreinte environnementale de notre SI est comprise dans nos équipements » constate Laurence Jumeaux, « nous avons donc, entre autres, décidé d’allonger la durée de vie de nos équipements à sept ans dès maintenant, puis huit dans les prochaines années ». Pour mettre en place ce système, Capgemini a dû mettre en place une toute nouvelle supply chain avec un nouveau partenaire pour être en capacité de réparer et reconditionner les équipements numériques.

Mettre en mouvement

Au-delà du sujet des équipements numériques que la DSI peut parfaitement maîtriser, la mise en mouvement de tous les collaborateurs est essentielle. « Chez EDF, nous avons fait déjà un certain nombre de choses pour favoriser la prise de conscience sur les enjeux environnementaux » explique Richard Bury, responsable du Programme NR d’EDF. Entre autres, EDF a dispensé la Fresque du Climat à 100% de ses salariés. 

Depuis cette phase de sensibilisation, EDF est passée à l’action. Richard Bury a fait de la mise en mouvement une priorité, « l’awareness, c’est bien mais il faut surtout agir ».  Contributeur du Club Green IT d’abord puis ensuite de l’Institut du Numérique Responsable où il siège désormais, au nom d’EDF, au Conseil d’Administration, il conduit une réflexion sur les enjeux du numérique responsable depuis de nombreuses années.

C’est donc naturellement qu’il a très rapidement engagé EDF dans la labellisation Numérique Responsable. « Nous sommes la première grande entreprise à être labellisée sur l’ensemble de nos départements » explique Richard Bury, « nous avons obtenu cette labellisation début 2021, nous préparons désormais le renouvellement en associant l’ensemble des acteurs pour valider les objectifs à atteindre. » 

Richard Bury déploie, au-delà du Label NR, le programme numérique responsable sur l’ensemble du groupe. « Le mot “programme” rend bien compte de ce que nous essayons de faire, à savoir fédérer et mettre en mouvement de manière opérationnelle autour de projets très différents » précise-t-il. Les enjeux numériques d’EDF s’étendent en effet sur des problématiques qui sont potentiellement de nature très éloignées, « L’écoconception du site internet d’EDF n’a par exemple rien à voir avec l’écoconception d’outils de modélisations utilisés pour nos centrales nucléaires ».

Les grands enjeux de Richard Bury est de rendre chacun acteur et partie prenante de ce programme NR. Également Directeur des systèmes d’information et de management de la DTEO (Direction Technique et Efficacité Opérationnelle) d’EDF, il voit sont rôle de plus en plus élargi et central au sein de l’organisation. Il identifie notamment des enjeux de plus en plus systémiques au sein d’EDF pour permettre une transformation globale de l’approche du numérique. « Bien sûr nous avons travaillé sur les enjeux de réduction des équipements et sur l’allongement de leur durée de vie » avance-t-il, « désormais, nous devons aussi travailler de manière plus élargie avec toutes les parties prenantes de l’organisation notamment nos fournisseurs stratégiques, notamment sur les sujets d’écoconception. »

Les moyens de prendre des décisions éclairées

S’atteler au sujet avec toutes les parties prenantes et une vision globale, c’est l’ambition que s’est fixée Verdikt. Christine Heckmann, ex-DSI de grands groupes, notamment Alstom, a créé Verdikt fin 2020 dans le but d’intégrer  les enjeux de la RSE à  l’IT. Pour elle, l’enjeu est clair : il faut donner les moyens aux DSI de prendre des décisions éclairées et de faire remonter la contribution de la DSI au niveau stratégique de l’entreprise. 

Pour cela, Verdikt  développe une plateforme qui permet de mesurer et de piloter les enjeux RSE de l’IT. En s’appuyant sur sa propre expérience, elle a pu formaliser dans une solution les éléments clés  permettant  aux  DSI de contribuer à la stratégie RSE  de leur entreprise. « Nous voulions dépasser la fonction de conseil et pouvoir apporter aux DSI un outil proposant une vision exhaustive de la RSE de l’IT , par la mesure et le pilotage de ses  impacts environnementaux, sociaux et économiques » explique Christine Heckmann, « notre objectif est de fournir des KPI quantifiés, des tableaux de bord stratégiques et opérationnels ainsi que des recommandations ciblées pour faciliter la mise en place de plan d’actions sur les sujets les plus impactants. »

Pour elle, 2024 devrait marquer un tournant avec l’arrivée de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et l’obligation pour les entreprises cotées d’abord d’établir des rapports extra-financiers selon de nouvelles règles intégrant pleinement les enjeux RSE et impactant l’IT. « Sur le deuxième semestre 2023, on a constaté une maturité croissante des  DSI préoccupées par les  impacts de leur SI au-delà des seules émissions de GES. » 

Bottom-up ou top-down 

L’approche est tantôt bottom-up, tantôt top-down. Les entreprises qui agissent en bottom-up veulent souvent s’approprier le sujet du Numérique Responsable par elles-mêmes selon Christine Heckmann. « Lorsque la démarche part du cœur de la DSI, de quelques personnes engagées qui se mobilisent, c’est vertueux mais aussi à double tranchant : je m’approprie le sujet mais je perds parfois de vue l’objectif global » précise la CEO de Verdikt, « néanmoins leur approche est essentielle dans la progression de la maturité de l’organisation : ils s’appuient sur des cas concrets pour pouvoir les valoriser et obtenir les financements adéquats pour aller plus loin. » 

Dans un démarche top-down, l’impulsion vient plutôt directement du comité exécutif ou de la RSE. « Dans ce cas de figure, l’approche est d’autant plus structurée dès le départ. C’est souvent le cas dans les entreprises qui sont très digitalisées ou dont le cœur de métier est directement l’IT » précise la CEO de Verdikt, « pour ces entreprises, l’IT peut peser jusqu’à 25% - 30% de l’empreinte environnementale de l’entreprise. Les directions RSE souhaitent alors d’autant plus s’emparer du sujet pour lancer des plans de réduction avec la DSI. »

La vision macro devient ainsi essentielle pour identifier les chantiers à prioriser à la DSI et pour pouvoir ainsi piloter la responsabilité numérique de l’entreprise là où cela fait sens. « Utiliser des calculatrices carbone pour estimer l’empreinte environnementale d’un site internet, c’est bien, mais souvent marginal en terme d’impact sauf dans quelques cas précis » reprend Christine Heckmann, « les entreprises doivent d’abord avoir les bons ordres de grandeur globaux en tête et les priorités à adresser pour faire des simulations sur les domaines IT qui pèsent et définir ensuite des trajectoires de réduction d’empreinte ». 

Avec toutes les parties prenantes de l’entreprise

Chez Edenred, aux yeux de Frédéric Nguyen, Chief Digital & Information Officer (CDIO), en charge de la Tech, toute l’entreprise s’engage déjà dans une vision partagée du numérique responsable. Il faut dire que chez Edenred, la Tech est au cœur des enjeux de développement de l’entreprise. Par conséquent, c’est la Tech qui se retrouve fortement motrice de la transition et garante de la faire en toute responsabilité.

Edenred est une entreprise qui a déjà plus de 60 ans, leader sur le marché du support des entreprises au service des salariés. En particulier, Edenred, groupe mondial, est connu pour ce qui était anciennement le Ticket Restaurant. Désormais, place à la dématérialisation pour un meilleur suivi et une empreinte réduite. « Nous ne voulons plus couper des arbres pour produire des Tickets Restaurant » explique Frédéric Nguyen, « aujourd’hui nous trouvons cela complètement archaïque de produire des tickets papiers qui ont une durée de validité limitée dans le temps ; cette péremption rend bien compte de la nécessité de repenser la manière de distribuer le Ticket Restaurant et les autres produits d’Edenred. Aujourd’hui, nous poussons le 100% digital. »

La dématérialisation semble ainsi évidente dans le métier d’Edenred, c’est pourquoi la mise en œuvre doit d’autant plus impliquer toute l’entreprise. « Ici, tout le monde se sent concerné par les enjeux numérique et numérique responsable. Chaque partie prenante d’un nouveau projet essaie de s’emparer du sujet » précise le CDIO d’Edenred, « que ce soit la sécurité, la conception, etc., tout le monde se saisit des enjeux et tente de trouver des solutions pour réduire l’empreinte du projet. »

Des clients à impliquer

« Aujourd’hui, les limites que nous observons sont d’ordre technique, administrative et de résistance au changement » ajoute Frédéric Nguyen, « Edenred faisant basculer ses applicatifs dans le Cloud, il faut techniquement travailler avec chaque client pour permettre le transfert de leurs solutions logicielles vers le Cloud ». 

Les autres points de résistance résident plutôt dans la difficulté à changer. Les clients doivent se réorganiser et modifier certaines habitudes. La sensibilisation et la pédagogie sur l’intérêt de la digitalisation sont des outils essentiels pour faciliter la transition. « Nos clients ne veulent pas forcément que les choses changent, on doit expliquer, apporter la pédagogie, les bons arguments » précise Frédéric Nguyen.

Laurence Jumeaux, responsable de l’offre NR pour Capgemini a les mêmes enjeux : massifier la cloudification des projets, convaincue de son intérêt pour réduire l’empreinte environnementale de l’IT. Elle aussi se heurte souvent à la maturité des clients, « les choses avancent certes, mais il y a encore des progrès à faire ». S’il y a souvent des responsables NR chez les clients de Capgemini Invent, ils ne sont pas forcément à temps plein sur le sujet. De fait, les avancées réalisées ne sont pas toujours à la hauteur de ce que Capgemini Invent aimerait insuffler.

Des limites à dépasser

D’autres limites relevées par Laurence Jumeaux concernent l’étendue de l’empreinte de l’IT : « L’empreinte environnementale de l’IT représente seulement 1% à 25% de l’empreinte totale de l’entreprise » note-t-elle, « de fait, le budget dédié à cet enjeu peut assez facilement disparaître ou être réduit au profit d’autres enjeux considérés comme plus critiques. »

Pour rendre le sujet central au sein des organisations, les DSI devront continuer à montrer combien le numérique est devenu bien plus qu’un pilier niché au cœur de l’activité. En s'instaurant motrice de l’action environnementale au sein de chaque département de l’entreprise, les DSI peuvent reprendre une position stratégique et rendre les budgets dédiés à leur action pour un numérique plus responsable, indispensables. 

Les bénéfices collatéraux selon Laurence Jumeaux sont importants. Par exemple, pour attirer les nouveaux talents demain, les entreprises qui tiendront compte des enjeux environnementaux et sociaux dans la conception de leurs services et produits seront plus en vue. Par ailleurs, les enjeux autour de la CSRD et le reporting extra-financier vont peu à peu obliger les entreprises à objectiver les travaux de réduction d’empreinte environnementale de la DSI. 

Et comme le précise Richard Bury (EDF), si le travail autour des équipements peut se concentrer uniquement dans les mains de la DSI, c’est bien avec l’ensemble des collaboratrices et collaborateurs qu’il faudra aborder la question de l’écoconception des services numériques. L’occasion donc, encore une fois, de redonner un rôle, sans doute plus complexe, mais central à la DSI.

Ils ont pris la parole sur GreenTech Forum 2023

Richard Bury (EDF), Christine Heckmann (Verdikt), Laurence Jumeaux (Capgemini Invent), Frédéric Nguyen (Edenred) était présent sur la conférence Numérique Responsable : « L’évolution du rôle du DSI dans la transition écologique des organisations », lors de GreenTech Forum Paris 3ème édition.

› Détails de la conférence

Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum

GreenTech Forum est le rendez-vous professionnel dédié au Numérique et à l'Environnement.
Organisé sous le haut patronage de Planet Tech'Care, initiative pilotée par le programme Numérique Responsable de Numeum, l'édition 2024 se tiendra les 5 et 6 novembre au Palais des Congrès de Paris.
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