NUMÉRIQUE RESPONSABLE | STRATÉGIE

LES AMBITIONS DE LA FEUILLE DE ROUTE DÉCARBONATION DU NUMÉRIQUE

Janvier 2024

Suite à la 3èmeédition de GreenTech Forum Paris, et en vue de la première édition de GreenTechForum Brussels (18-19 juin 2024), retour sur ce qui s’est dit pendant l’événement avec les speakers invités sur scène à Paris.

La feuille de route de décarbonation de la filière numérique contient une série d'actions concrètes et de leviers à activer pour rendre le secteur du numérique plus engagé en matière d’écoresponsabilité. Elle traduit l’émergence d’une véritable dynamique de filière, et le renforcement de l’appropriation par les acteurs des enjeux environnementaux. Proposée par et pour les industriels du numérique, elle est un premier outil étatique pour transformer le secteur.

La feuille de route de décarbonation du numérique du Gouvernement est parue en juillet 2023 après un travail collectif de neuf mois. Co-construite par l’ensemble des acteurs de la filière, elle est le résultat d’un travail issu de l’intelligence collective. Si toutes les propositions formulées ne sont pas forcément le fruit d’un consensus, la feuille de route a en revanche vocation à indiquer une série de leviers pour réduire l’empreinte environnementale du numérique et mettre à disposition des décideuses et décideurs un panel d’options activables. 

Alors que le Haut Comité au Numérique Ecoresponsable (HCNE) venait d’être créé en novembre 2022, le Ministère de l’Économie à travers la Direction Générale des Entreprises (DGE) et le Ministère de la Transition Écologique à travers le Commissariat Général au Développement Durable (CGDD) ont fait appel aux organisations représentant la filière pour concrétiser les ambitions affichées et répondre aux obligations inscrites dans l’article 301 de la loi du 22 août 2021 dite « Loi Climat et Résilience ».

C’est ainsi que les têtes de pont de chaque sous-secteur du numérique, l’AFNUM (Alliance Française des Industries du Numérique), France Data Center, Numeum, la Fédération Française des Télécom, Infranum et le Cigref ont été mandatées pour piloter la création de la feuille de route de décarbonation du secteur. Ces organisations syndicales ou associatives constituent une représentation exhaustive des acteurs de la filière. 

C’est d’ailleurs le premier succès de ce travail initié par les pouvoirs publics : réunir l’ensemble du secteur numérique. « Le secteur est très atomisé, faire “filière” est beaucoup plus compliqué que dans d’autres secteurs d’activité » relève Clément Emine, Délégué aux Affaires Publiques de Numeum. Entre des éditeurs de logiciel, des producteurs d’équipements numériques, des opérateurs réseaux, des sociétés de conseil, des fournisseurs de services numériques, etc., il n’est pas évident de créer facilement le mapping des acteurs et de rendre lisible l’organisation de l’écosystème. 

300 personnes mobilisées en 5 groupes de travail

Grâce à cette approche de pilotage, près de 300 personnes se sont mobilisées pour contribuer à cette feuille de route via la plateforme en ligne mise en place. « Dans les groupes de travail, la mobilisation s’est traduite par une centaine d’inscrits et une cinquantaine de participants à chaque réunion à distance » note Clara Grojean, Responsable Environnement de l’AFNUM, « cette forte mobilisation a permis de faire émerger de nombreux points de vue et de croiser les différentes expertises et expériences ». 

« Les participants étaient issus de différents milieux, permettant des retours terrains au plus près de la réalité des acteurs économiques » poursuit Clara Grojean, « ces rencontres au carrefour de plein d’expertises différentes ont permis de créer un livrable commun issu de l’intelligence collective ». Autour de la table, des associations engagées pour un numérique plus responsable, des scientifiques, des autorités de l’État, des régulateurs, etc. étaient également présents pour apporter des retours critiques et faire progresser les réflexions.

Pour initier la feuille de route, les organisations mandatées pour piloter ce projet ont créé cinq groupes de travail découpés selon leurs expertises respectives : Sobriété et usages, Terminaux, Datacenters & cloud, Réseaux et “Contribution du numérique à la (dé)carbonation des autres secteurs” (IT for green). Les pilotes des groupes de travail ont ensuite rédigé la feuille de route de manière collégiale en fonction des conclusions de chaque groupe de travail. 

Clara Grojean a piloté le groupe “Terminaux” dont les conclusions portent principalement sur des propositions pour : 

  • allonger la durée de vie des terminaux ;
  • inclure 30% de matériaux recyclés dans la fabrication des terminaux ;
  • faciliter la réparabilité des équipements et faire émerger les acteurs de la réparabilité ;
  • intégrer les objets connectés (IoT) dans le périmètre étudié ;
  • favoriser la seconde main.

Clément Emine a, lui, co-piloté le GT “Sobriété et Usages” avec le Cigref, dont les conclusions portent principalement sur des propositions pour : 

  • favoriser l’écoconception des services numériques ;
  • encourager la sobriété des usages ;
  • réguler les mécanismes de captation de l’attention des plateformes numériques ;
  • développer la sensibilisation et la formation autour des impacts environnementaux du numérique.

« Du groupe “Sobriété et usages” que je co-pilotais avec le Cigref et du groupe Terminaux piloté par l’AFNUM a émergé un sous-groupe autour de l’obsolescence pour traiter des enjeux d’obsolescence technique et psychologique », explique Clément Emine. Ce sous-groupe a permis de favoriser d’autant plus le croisement des regards et des expertises sur ces enjeux. 

Le groupe de travail a notamment mis en relief le lien inextricable entre matériel et logiciel dans le numérique. Un logiciel qui ne fonctionne plus sur un équipement a priori encore fonctionnel, le rend obsolète de facto. C’est pour cela que des acteurs associatifs se mobilisent sur ce levier en particulier, qui constitue par exemple l’un des piliers de l’action de plaidoyer GreenIT.fr, comme nous le confiait Lise Breteau dans un autre entretien.

It for green, le numérique au service de la décarbonation des autres secteurs

Pour Clément Emine, le dernier groupe de travail IT for green était essentiel. « Notre secteur a une empreinte environnementale forte et en expansion, c’est certain. Mais il y a aussi une grande ambivalence à ce sujet » explique le Délégué aux Affaires Publiques de Numeum, « on sait aussi que le numérique peut aider à réduire l’empreinte carbone d’autres secteurs ». Ce groupe de travail a ainsi permis d’explorer le sujet de l’IT for green et d’aller chercher des exemples concrets d’initiatives dans cinq secteurs d’activité majeurs tels le bâtiment, le transport ou encore l’agriculture.

Le groupe de travail a été contraint d'opérer ainsi tant les dimensions à prendre en compte sur la capacité du numérique à réduire l’empreinte carbone d’un secteur sont multiples et protéiformes. « On s’est vite rendu compte qu’il nous faudrait s’adresser à chaque secteur d’activité pour comprendre les initiatives spécifiques et en tirer de plus larges conclusions », détaille Clara Grojean, « mais par exemple, il reste difficile de parler de manière globale de l’impact de l’Intelligence Artificielle sur tous les secteurs d’activité. On a donc préféré se focaliser sur des exemples précis, issus de  quelques secteurs clés. »

Un premier jalon d’un travail d’ampleur

Pour Clara Grojean (AFNUM), la feuille de route produite est avant tout un bon premier jalon pour voir ce que la filière est capable de mettre en œuvre à court terme : « la stratégie nationale sur le long terme est initiée à travers la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). Notre feuille de route existe pour la nourrir » . 

A ses yeux, la planification écologique attendue devrait permettre d’aller encore plus loin et continuer à insuffler la dynamique. Clément Emine (Numeum) inscrit son propos dans le même sens, « cet exercice était intéressant en termes de pilotage et permet de donner les bonnes indications au Gouvernement pour créer une stratégie de décarbonation du numérique pertinente ».

Aller plus loin pour réinventer le numérique

La feuille de route apporte une vision technique fondamentale mais l’enjeu social constitue aussi un aspect central dans les enjeux du numérique responsable. « Il nous faut réinventer le numérique avec la prise en compte de l’empreinte sociale du numérique également. Mêler social et environnement est essentiel pour une approche plus holistique » relève Clara Grojean, « D’ailleurs, notre mantra à l’AFNUM, est “ensemble, donnons du sens au numérique” ; dans l’absolu, notre vision dépasse l’approche purement technique. »

Cet aspect de l’empreinte du numérique a d’ailleurs été l’une des questions qui a été posée pendant la création de la feuille de route. « Il y avait une approche très “terre à terre” dans notre travail pour savoir comment le numérique pouvait réduire son empreinte environnementale ou aider à réduire l’empreinte des autres secteurs, mais il y avait aussi une partie de réflexion plus profonde sur le modèle souhaitable » explique Clément Emine, « les participants voulaient questionner la place du numérique demain : veut-on plus de numérique ou moins de numérique ? ». 

Conscient de leur position de représentants de la filière, les différents pilotes des groupes de travail n’ont pas vocation à initier les débats autour de ces sujets. Ils n’étaient d’ailleurs pas mandaté pour cela dans le cadre de la feuille de route décarbonation du numérique. « Nous savons que le numérique contribuera au monde de demain, qu’il peut être un levier de la transition écologique. C’est pour cela qu’on se doit de prendre part aux débats qui interrogent la place du numérique et ne pas esquiver la question du plus ou moins de numérique » précise Clément Emine.

D’ailleurs, la feuille de route de décarbonation de la filière numérique appelle “à l’avènement d’un débat démocratique plus large, au sein d’une enceinte dédiée”, le cadre de l’article 301 de la loi Climat & Résilience ne permettant pas de dépasser les enjeux strictement environnementaux. L’appel fait écho aux réflexions de la filière pour parler des implications à la fois “environnementales et sociales, en termes d’inclusion, de parité et d’éducation”. Ces thématiques sont inextricablement liées pour définir l’avenir souhaitable du numérique en France.

Une France en avance

Malgré ces manques, pour Clément Emine (Numeum), la France est clairement en avance sur une réflexion globale autour des enjeux d’un numérique plus responsable. « En France, sur tous les sujets de réduction de l’empreinte du numérique, nous sommes pionniers ». Le Délégué aux Affaires Publiques de Numeum relève tour à tour la volonté des pouvoirs publics de s’emparer de ce sujet, la dynamique au niveau des entreprises dans les offres centrées sur l’empreinte du numérique et enfin la dynamique associative : « la communauté numérique responsable française est riche de nombreuses associations, c’est assez inédit en Europe, voire au niveau mondial. »

Un levier assurément pour aller parler auprès des instances européennes. Si la France sait unir sa voix pour aller murmurer à l’oreille de Bruxelles, nul doute que les avancées en matière de numérique responsable pourraient être considérables et inspirer un certain nombre de pays, dont déjà certains sont en questionnement. « Notre enjeu, désormais c’est d’aller convaincre les autres pays de l’intérêt de s’emparer des enjeux de réduction de l’empreinte environnementale du numérique » conclut Clément Emine.

Ils ont pris la parole sur GreenTech Forum 2023

Clément Emine (Numeum) et Clara Grojean (AFNUM) animaient la Keynote Numérique Responsable : « Focus sur la Feuille de route de décarbonation du numérique », lors de GreenTech Forum Paris 3ème édition.

› Détails de la keynote numérique responsable

Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum

GreenTech Forum est le rendez-vous professionnel dédié au Numérique et à l'Environnement.
Organisé sous le haut patronage de Planet Tech'Care, initiative pilotée par le programme Numérique Responsable de Numeum, l'édition 2024 se tiendra les 5 et 6 novembre au Palais des Congrès de Paris.
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