Alors que l’empreinte carbone du numérique s’efface quelque peu des priorités premières des organisations, d’autres enjeux du numérique responsable gagnent en importance. L’intégration de l’intelligence artificielle est sur toutes les lèvres, mais le besoin de recul et la recherche de méthodologie se font ressentir face à une technologie qui évolue très rapidement et qui comporte encore de nombreuses inconnues. Entre consommation d’énergie, envolée potentielle des coûts, bonnes pratiques d’utilisation, privacy, souveraineté et cybersécurité, les défis ne manquent pas. Autant d’enjeux auxquels l’accompagnement des entreprises et les formations en numérique responsable tentent de s’adapter.
Face au besoin d’intégrer rapidement l’Intelligence Artificielle (IA) et devant une tendance globale à la dérégulation en France comme en Europe, les entreprises concentrent leurs efforts pour rester compétitives à court terme. Dans cette optique, les enjeux du numérique responsable tendent à se déplacer. Pour les accompagner, les métiers de la formation tentent de s’adapter.
Les entreprises recherchent des repères méthodologiques pour adopter des technologies qui évoluent très vite. L’IA, en particulier, cristallise les attentes mais aussi les craintes. Les formations au numérique responsable, longtemps focalisées sur l’empreinte environnementale, doivent désormais intégrer les préoccupations liées à cette technologie.
Pour Nicolas Drouet, fondateur de The Green Compagnon, cette évolution est perceptible sur le terrain. « On était très porté sur les sujets d’empreinte environnementale du numérique, très CO₂ », explique-t-il. Mais aujourd’hui, l’attention se déplace : « Avec la dérégulation des engagements environnementaux, clairement, on sent le besoin d'aller embrasser des nouveaux sujets. »
The Green Compagnon, qui regroupe une communauté d’expertes et experts spécialisés - une cinquantaine répartis sur toute la France - structure son offre de formation autour du numérique responsable depuis 2020. « Notre positionnement dès le début a été de se dire : on va faire des formations très “métier” », précise Nicolas Drouet, « l'objectif : mettre des pros de la tech en face d'autres pros de la tech. »
La structure propose une quinzaine de formations, accompagnées de bootcamps et de challenges. “On n’est pas formateur de métier, mais on le devient de plus en plus”, ajoute-t-il. Avec cette approche, l’objectif de The Green Compagnon est double : apporter une valeur immédiate grâce à une compréhension fine des enjeux de terrain et éclairer les entreprises sur les enjeux de durabilité liés au numérique.
Un seconde motivation qui glisse désormais légèrement au second plan et entraîne un nécessaire repositionnement de l’activité : « On sent qu'il y a un enjeu à aller chercher un second souffle. Sur l'impact environnemental du numérique, on peut estimer que les gens ont du mal à s'accrocher à quelque chose de difficilement visible. »
Avec l’IA, la question de la robustesse numérique émerge peu à peu dans les priorités stratégiques. “Les drivers qui commencent à nous permettre de refaire parler de numérique responsable dans les entreprises, c’est la robustesse, notamment à cause de l’IA”, affirme Nicolas Drouet, « concrètement, nos formations n’ont pas changé du jour au lendemain, mais c’est l'état d'esprit qui est en train d’évoluer. »
Ces évolutions s’appuient sur des préoccupations tangibles pour les entreprises : stabilité des systèmes, coûts opérationnels, sécurité des données. “La mise en exergue de ces sujets se fait plus facilement parce qu’il y a l’IA”, note-t-il. Dans ce contexte, la souveraineté numérique devient un argument fort. Nicolas Drouet cite un exemple révélateur : le gel récent de l’accès au compte Microsoft du procureur de la Cour pénale internationale. Un signal d’alerte sur la dépendance technologique qui a notamment déclenché des prises de position fortes au Danemark pour une sortie des ministères des mains du géant américain.
Les coûts sont aussi un facteur central et un risque fort que les entreprises souhaitent maîtriser : « Qu'est-ce que vous faites si votre infrastructure prend 30% du jour au lendemain ? » questionne Nicolas Drouet. Une interrogation qui s’inscrit pleinement dans la réalité des choses. Récemment l’entreprise Notion a fait évoluer son offre “Business” : l’IA est obligatoirement inclus dans l’offre, mais le tarif est 30% plus cher qu’auparavant.
Le développement rapide de l’IA oblige ainsi les entreprises à réévaluer leurs compétences internes. Pour accompagner ce virage, The Green Compagnon a conçu deux nouvelles formations orientées IA. La première, destinée aux équipes tech, propose une acculturation complète. Sur une journée, les participants abordent l’impact environnemental, les enjeux politiques, les données et les réglementations. Le but : permettre aux équipes techniques de faire les bons choix d’intégration d’IA.
La seconde formation cible l’ensemble des collaborateurs. Elle s’appuie sur “La Bataille de l’IA”, un atelier développé par l’association Latitudes, et des mises en situation autour des grands modèles de langage (LLM), pour apprendre à prompter de manière raisonnée, analyser les biais éthiques ou comprendre la nature des données partagées.
“On essaye de le vendre plus comme une formation pour les collaborateurs, pour utiliser les LLM, plus qu’un usage durable ou raisonné de l’IA”, précise Nicolas Drouet. Une manière d’ancrer ces formations dans le quotidien professionnel plutôt que dans un discours militant.
Pour Angelica Calvet, présidente de Cinov Nouvelle-Aquitaine et animatrice de sa commission numérique responsable, le constat est partagé. L’enjeu d’acculturation est immense car les entreprises ont besoin de maîtriser les choix qu’elles font en matière de technologie. « Avec l’avènement de l’IA, les entreprises réfléchissent davantage à ce qu'elles vont faire. Elles ne veulent pas déployer l'IA juste pour déployer. » explique-t-elle.
Au même titre que Nicolas Drouet, Angélica Calvet note le besoin de temporiser : « Comme il y a une grande panoplie d'offres sur l’IA, la plupart du temps proposée par les GAFAM, et que le contexte est instable, les entreprises cherchent à prendre un peu de recul et ne veulent pas aller trop vite. »
« La souveraineté mène la danse à l’heure actuelle », insiste-t-elle. Face aux lois extraterritoriales comme le Cloud Act, les entreprises veulent maîtriser leurs données. Une prise de conscience qui alimente la demande de formation : « Les métiers de la fédération sont très sensibilisés à ces questions de cloud souverain et se posent beaucoup de questions sur ces enjeux. Notre devoir c’est de les accompagner. »
Si Angélica Calvet donne raison aux entreprises de ne pas faire de choix hâtifs, elle encourage à accélérer la formation à ces enjeux. « Les TPE/PME sont peu formées, peu accompagnées sur ces sujets », alerte-t-elle. Pourtant, les enjeux les concernent tout autant que les grands comptes. Une étude réalisée par l’OPIIEC et le Cinov, parue début juin 2025, révèle que seulement un tiers des TPE/PME ont entamé une réflexion sur l’IA, contre deux tiers des grands comptes.
Les besoins sont pourtant pressants : 287 000 salariés devront être formés ou sensibilisés à l’IA d’ici 2030. Les entreprises réclament des formations qui les aident à comprendre les outils, respecter le cadre réglementaire et piloter le changement organisationnel. L’enjeu est donc de structurer une offre adaptée aux réalités de ces organisations.
Le numérique responsable doit ainsi être compris comme un concept plus global pour embrasser une dimension stratégique. « Avec l'IA qui s'installe dans les entreprises, on sent que la robustesse est un des éléments qui fait qu'un comité de direction commence à se poser la question du numérique responsable au sens large. » reprend Nicolas Drouet.
Inclusion, cybersécurité, impact environnemental, accessibilité : tous ces sujets, souvent traités en silos, pourraient ainsi être abordés de manière conjointe. “On aurait intérêt à ce que le numérique responsable soit un terme générique qui englobe tout ça”, plaide-t-il. Ce recentrage conceptuel est essentiel pour convaincre les comités de direction d’investir dans ces formations.
Angélica Calvet partage cette vision. À ses yeux, la Responsabilité Numérique des Entreprises (RNE) a été perçue jusqu’ici comme un prolongement du green IT. Mais cette lecture est désormais dépassée. « On voit que cette notion de RNE s'élargit », affirme Angelica Calvet. Elle inclut désormais les dimensions éthique, sociale, de gouvernance et de souveraineté.
En somme, le numérique responsable est en train de changer de nature. Moins porté sur l’empreinte environnementale, plus centré sur des tendances stratégiques pour répondre à des enjeux de court-terme, plus transversal. Pour accompagner cette mutation, les acteurs de la formation doivent eux aussi monter en puissance, élargir leurs référentiels et leur vision du numérique responsable. En un mot, s’adapter.
AngelicaCalvet est Présidente Cinov Nouvelle-Aquitaine et Commission Numérique Responsable. Elle est également membre du Comité de Programme de GreenTech Forum 2025.
Nicolas Drouet est fondateur de The Green Compagnon. The Green Compagnon sera entreprise exposante lors de GreenTech Forum 2025.
Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum