Alors que les territoires s’efforcent de concilier développement numérique et transition écologique, une nouvelle étape vient d’être franchie dans la capacité à évaluer l’impact environnemental des infrastructures numériques avec la publication d’un référentiel dédié coordonné par InfraNum et édité par l’ADEME.
Jusqu’à récemment, les collectivités manquaient de repères méthodologiques pour analyser précisément les effets des réseaux numériques sur leur bilan carbone. La publication par InfraNum, avec le soutien de l’ADEME, du premier référentiel dédié aux bilans d’émissions de gaz à effet de serre des infrastructures télécoms, change la donne.
Ce guide constitue une avancée majeure pour les acteurs publics, et en particulier pour les collectivités engagées dans la gestion de Réseaux d’Initiative Publique (RIP), en leur permettant de mieux piloter leurs décisions en matière d’aménagement numérique.
Les enjeux environnementaux liés aux réseaux numériques restent largement invisibles dans le débat public, au profit de sujets plus médiatiques comme les datacenters. Pourtant, les réseaux sont indispensables à l’ensemble de l’écosystème numérique. Comme le rappelle Astrid Voorwinden, chargée de mission Territoires connectés & Environnement chez InfraNum : « Même si les réseaux sont le tiers le moins émetteur, ils sont aussi littéralement indispensables aux autres. Sans réseau, pas d’Internet. »
Jusqu’ici, l’évaluation environnementale des infrastructures reposait essentiellement sur des approximations, voire des ratios financiers convertis en équivalents carbone. Une méthode qui ne permet pas toujours d’identifier précisément les postes les plus émetteurs. Le nouveau référentiel sectoriel vient combler ce vide. Construit avec la participation de plus de trente entreprises, il s’appuie sur des données concrètes, des analyses de cycle de vie et des ateliers de modélisation.
Cette approche collaborative permet de créer des facteurs d’émissions adaptés à la diversité des métiers impliqués dans les réseaux : aménageurs, câbliers, installateurs, opérateurs d’infrastructure ou encore exploitants. L’objectif est clair : harmoniser les pratiques, fiabiliser les données et rendre plus transparent l’impact réel des réseaux sur l’environnement.
Depuis la loi de 2004, les collectivités peuvent mettre en œuvre des Réseaux d’Initiative Publique (RIP) pour garantir une couverture Internet sur leur territoire, avec l’enjeu de permettre l'utilisation partagée du réseau et respecter le principe d'égalité et de libre concurrence sur les marchés. Ces RIP ont été au cœur du plan France Très Haut Débit, assurant le déploiement de la fibre sur une large partie du territoire national.
Jusqu’à présent, peu de RIP disposaient d’outils pour évaluer leur impact environnemental. Le référentiel publié par InfraNum change la donne. Dans le département de la Gironde, le syndicat mixte délégant (Gironde Numérique) et son délégataire (Gironde Très Haut Débit), accompagnés par le cabinet Ekho, ont été les premiers à expérimenter cet outil. « La Gironde a fait un retour très positif sur cette évaluation, qui permet de voir l’impact du réseau globalement et d’identifier les principaux postes d’émissions », explique Astrid Voorwinden.
Ce type de diagnostic permet aussi d’engager des plans d’action concrets, comme l’optimisation des déplacements pour la maintenance ou la qualité des raccordements, notamment en zone rurale où les coûts et les impacts sont plus élevés. Pour les territoires, c’est une avancée majeure vers une gestion plus responsable de leur infrastructure numérique.
Le secteur des télécoms souffre encore d’un déficit de maturité sur les enjeux environnementaux. « Les entreprises sont souvent prises dans le piège du scope 3, où les données ne remontent pas suffisamment de leur chaîne de valeur », explique Astrid Voorwinden. Cette chaîne comprend une diversité d’acteurs : fabricants de câbles, entreprises de BTP, opérateurs d’infrastructure, etc. Chacun dépendant des autres pour disposer de données fiables.
L’intérêt du référentiel est de fournir une méthodologie claire pour produire un bilan carbone même en l’absence de données primaires. Il s’adresse aux entreprises qui ne disposent pas des analyses de cycle de vie (ACV) de leurs fournisseurs ou dont les sous-traitants ne réalisent pas de bilans carbone. Résultat : un passage de bilans perfectibles à base de ratios financiers à des évaluations basées sur des flux physiques réels.
« C’est le grand apport du guide. Il permet aux entreprises de modéliser la réalité de leurs consommations. On peut alors mieux cibler les leviers de décarbonation, selon le métier et le niveau de maturité », souligne Astrid Voorwinden. Le document met à disposition un ensemble de recommandations techniques, de facteurs d’émissions et de bonnes pratiques, offrant ainsi aux professionnels un véritable outil à la fois pédagogique et opérationnel.
Le cas de la Gironde illustre l’apport concret de cette nouvelle méthodologie. En modélisant l’ensemble de son réseau, le département a pu mettre en place un plan de décarbonation. Plusieurs pistes d’optimisation ont été identifiées, notamment sur les déplacements liés à la maintenance. Par exemple, une flotte de véhicules électrifiés et une meilleure organisation des interventions permettraient de réduire l’empreinte carbone des opérations courantes.
Autre levier : la qualité des raccordements. « Le plus gros impact intervient souvent dans le dernier kilomètre, lorsqu’on connecte chaque abonné. Un mauvais raccordement nécessite plusieurs passages, donc plus d’émissions. C’est d’autant plus le cas dans les campagnes où les maisons peuvent-être éloignées les unes des autres », précise Astrid Voorwinden. Le guide permet aussi de favoriser, par exemple, des arbitrages en faveur du réemploi de matériel et de l’éco-conception dans les politiques d’achat public, encore peu appliquées aux réseaux.
Au global, cette approche permet aux territoires de mieux orienter leurs choix en matière d’investissement. Elle favorise également une intégration des infrastructures numériques dans les politiques locales de développement durable. Pour les structures intercommunales ou départementales, elle ouvre la voie à une gestion plus stratégique de leurs RIP.
InfraNum, fédération du secteur, a lancé dès 2022 une mission « numérique et environnement » pour structurer les efforts de la filière. Le référentiel est le fruit de cette ambition. Il crée un cadre commun, partagé par l’ensemble des parties prenantes. Réalisé par le cabinet Ekho, il s’appuie sur les méthodologies de l’ADEME et bénéficie de la reconnaissance d’acteurs comme l’ARCEP, The Shift Project ou Orange qui ont contribué au guide, notamment à travers le comité de relecture.
En intégrant aussi bien les grandes entreprises que des acteurs non membres d’InfraNum, comme OVH ou Free, ce projet se veut représentatif. Il traduit une volonté d’exemplarité de la France, qui fait figure de pionnière en matière de modélisation de l’impact environnemental des télécoms.
Le secteur est désormais mieux outillé pour répondre aux nouvelles exigences réglementaires et aux engagements de certains acteurs de la filière, comme les opérateurs, à l’instar de la visée net zéro carbone en 2040 par Orange. Cela aura un effet d’entraînement sur l’ensemble de la chaîne de valeur.
Le référentiel marque un tournant dans la gestion environnementale des réseaux numériques. Il répond à une attente forte des collectivités, désireuses de concilier connectivité, développement territorial et sobriété environnementale. Grâce à cet outil, elles peuvent désormais modéliser l’impact de leurs infrastructures, identifier les postes les plus émetteurs et mettre en œuvre des actions ciblées.
Mais cette transformation suppose un engagement collectif. Chaque acteur de la chaîne de valeur, du fabricant de câbles au maître d’ouvrage public, doit contribuer à la remontée de données fiables pour continuer à nourrir les bases de facteurs d’émissions. L’enjeu étant d’avoir les données les plus précises possibles pour une évaluation fiable, facilitant la prise de décision.
Alors que les infrastructures numériques continuent de se développer à un rythme soutenu, il est plus que jamais nécessaire d’accompagner cette croissance par une réflexion environnementale structurée. Le référentiel réalisé par InfraNum constitue un jalon essentiel sur ce chemin.
Il a d’ailleurs été rapidement intégré à d’autres guides clés pour les collectivités, à l’instar du livre blanc de la RSE des collectivités, publié en mars dernier lors du TRIP de l'Avicca, association d’élus présidée par Patrick Chaize (le sénateur à l’origine de la loi REEN). Issu d'une enquête auprès de collectivités, ce livre blanc propose un état des lieux des obligations RSE des collectivités, de leur état de maturité pour les remplir, et des outils qui peuvent leur être utiles, dont le guide sectoriel d’infraNum.
Le guide donne ainsi aux collectivités les moyens d’agir et aux entreprises les clés pour s’améliorer. Une étape cruciale vers un numérique plus responsable sur le volet des réseaux télécoms, au service de la pérennité et de la durabilité des territoires.
Astrid VOORWINDEN est chargée de mission Territoires connectés & Environnement chez InfraNum, la fédération engagée pour le développement des infrastructures numériques et partenaire de la connectivité des territoires et membre du Comité de Programme de GreenTech Forum 2025.
Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum