NUMÉRIQUE RESPONSABLE | EMPREINTE

[DOSSIER DURABILITÉ & RÉPARABILITÉ] RÉPARABILITÉ DES ÉQUIPEMENTS NUMÉRIQUES, L’INDISPENSABLE PILIER DE LA CIRCULARITÉ

Janvier 2024

Pour atténuer l’empreinte environnementale du numérique, le reconditionnement des équipements est clé. Faut-il encore pouvoir les réparer simplement et à un coût acceptable, et faire accepter cette offre aux utilisateurs finaux.

Le reconditionnement permet aux entreprises d’entrer de plain-pied dans la circularité. Si chaque équipement numérique d’une entreprise peut être remis en état après un premier cycle de vie pour être, soit réintroduit sur le marché, soit réattribué en interne, la durée de vie de l’équipement est prolongée d’autant. 

Pour l’heure néanmoins, les acteurs qui s’attèlent au reconditionnement des équipements numériques affrontent encore plusieurs difficultés. Celles-ci sont entre autres liées au difficile équilibre du modèle économique, à la résistance psychologique des utilisateurs finaux face aux équipements de seconde-main et à l’impasse technique en particulier lorsque les pièces détachées ne sont pas disponibles.

Pourtant, la fabrication de terminaux constitue environ 80% de l’empreinte environnementale du numérique selon les données de l’Ademe. Trouver collectivement les leviers pour réduire le nombre d’équipements produits est donc un moyen très efficace de réduire l’empreinte environnementale du numérique ; d’autant plus que le numérique pèse aujourd’hui pour environ 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et que ces émissions sont en constante augmentation. Le reconditionnement apparaît donc comme un levier particulièrement pertinent pour répondre à cette problématique. 

Reconditionner, un enjeu pour tous

Ikkan est justement une entreprise à mission qui œuvre pour des équipements numériques plus durables, à travers, entre autres, l’allongement de la durée de vie. Le préalable : la distribution de matériel fiable, performant et réparable. Ikkan est un assembleur, qui, dans ses ateliers à Lyon-Vaise, propose des ordinateurs portables réparables et durables grâce à plusieurs spécificités de leur offre : 

  • un modèle unique standard ;
  • un modèle personnalisable avec plusieurs options disponibles (puissance de la mémoire vive, filtre de confidentialité, connectiques, etc.) ;
  • un modèle dont les parties les plus sensibles sont amovibles (batterie, clavier, connectique, etc.).

Avec ce préalable, ikkan peut travailler plus facilement au reconditionnement de ses propres ordinateurs. « Nous connaissons bien les limites techniques du reconditionnement, sans compter la problématique de la perception par l’utilisateur ou encore les enjeux de sécurité » explique Simon Guilhot, co-fondateur de l’entreprise, « chez ikkan, nous sommes capables de changer les pièces de nos ordinateurs de manière standardisée et garantir la qualité perçue à l’utilisateur final. »

ikkan a défini une stratégie pour favoriser la durabilité de ses équipements : mettre en place des cycles d’usages de 36 mois (3 ans) renouvelés trois fois. Étendre jusqu’à neuf ans la durée de vie de leurs ordinateurs est un gros challenge alors qu’aujourd’hui la durée de vie moyenne d’un ordinateur portable est de cinq ans (Etude Arcep/Ademe, 2022). Pour cela, au bout de chaque cycle de vie, l’ambition d’ikkan est d’être capable : 

  • d’upgrader l’équipement, c’est-à-dire mettre à niveau la puissance si nécessaire ;
  • de changer les pièces d’usure de l’ordinateur ;
  • de réparer l’équipement sur un maximum de pièces, et donc disposer des pièces de rechange nécessaire.

Ensuite, pour ikkan, l’enjeu est de pouvoir le remettre en circulation dans les entreprises sans se heurter à la résistance psychologique des utilisateurs finaux sur la perception d’un outil de seconde main.

Le marketing au service de la seconde main

« Esthétiquement, on “pimpe” nos ordinateurs ! Nous essayons de recréer le phénomène de satisfaction lié au neuf », explique Simon Guilhot. Ainsi, ikkan travaille au mieux les équipements pour éliminer les rayures et les différentes traces d’usage pour donner le sentiment que le produit est comme neuf. L’entreprise ajoute également un « joli carton », le packaging participant à l’impression de bénéficier d’un équipement neuf. 

Dans cette même perspective, que ce soit pour les ordinateurs neufs sortis de leurs ateliers d’assemblage ou les ordinateurs upgradés, ikkan ajoute une pochette. « Ces pochettes, nous les faisons produire par Maison Ma Bille dans une démarche complètement circulaire. Cette entreprise crée des produits à partir de pulls usagés » détaille le co-fondateur d’ikkan, « dans leurs ateliers qui emploient des personnes en réinsertion à Lyon, Maison Ma Bille retravaille la matière pour la transformer en pochettes d’ordinateurs zéro déchet. Cette offre entre en total en cohérence avec notre démarche. »

Au-delà du changement de perception sur la seconde-main à insuffler, Simon Guilhot sait que l’enjeu réside aussi sur le modèle économique du reconditionné : « il faut créer les conditions de marché pour que le reconditionné soit viable » indique-t-il. La disponibilité des pièces détachées et à un prix modéré en sont des variables indissociables.

Les pièces détachées au service de la seconde main

L’accès aux pièces détachées est l’une des batailles les plus importantes à mener selon Adrien Montagut, co-fondateur de Commown, une coopérative de l’électronique particulièrement engagée. « Chez Commown, on lutte contre tous les mécanismes d’obsolescence des équipements numériques qu’ils soient logiciel, industriel ou marketing », précise celui qui est aussi responsable plaidoyer et communication de l’entreprise.

Commown a une activité de distributeurs et a donc, à la différence d’ikkan, moins la main sur les pièces disponibles. Se battre pour l’accès aux pièces détachées est d’autant plus une évidence. « L’accès aux pièces détachées, c’est la mère des batailles » ajoute Adrien Montagut, « on travaille avec nos partenaires pour questionner leurs pratiques et les aider à avancer sur ce sujet. » 

Entre autres sujets, la sérialisation des pièces, cette fâcheuse habitude qu’ont pris certains fabricants : « c’est le pire scénario qu’on peut avoir quand on cherche à reconditionner un équipement » explique Adrien Montagut, « la sérialisation empêche toute réparabilité ». La sérialisation correspond à la mise en place d’un numéro de série sur une pièce visant à empêcher le remplacement de cette pièce par une pièce générique. En général, si la pièce sérialisée est remplacée par une pièce générique, l’usage se trouve dégradé pour l’utilisateur final. 

L’Union européenne peut être motrice

Pour Adrien Montagut, la bataille doit également se mener aux côtés de l’Union européenne (UE), « il y a de bonnes volontés au sein de l’UE, mais il y aussi beaucoup de lobbying qui empêche de vraiment avancer dans le bon sens », ajoute-t-il, « nous devons être plus nombreux à faire contrepoids pour des changements de législation audacieux en faveur de la durabilité et de la réparabilité des équipements. »

C’est l’ambition de la coalition Right to Repair, un collectif européen qui milite actuellement pour l’adoption d’une loi sur le droit à la réparation. Un texte de loi européen relativement ambitieux a vu le jour récemment pour faciliter la réparation des équipements numériques, mais doit encore passer plusieurs étapes administratives avant d’être adopté. Entre autres, la prise de position des Etats membres sur ces textes pourrait venir en réduire la portée. Avant les prochaines étapes cruciales, les avancées réalisées par l’UE ont été saluées par des collectifs engagés pour la durabilité des équipements comme Halte à l’Obsolescence Programmée en France.

Des offres dédiées

Dans l’anticipation d’un cadre réglementaire toujours plus contraignant et avec la conviction que le modèle actuel n’est plus tenable à long terme compte tenu des limites planétaires atteintes, certains acteurs historiques de la fabrication d’équipements numériques initient un changement de modèle. HP a annoncé lors de GreenTech Forum 2023, la sortie de sa première offre de PC professionnels reconditionnés et garantis par HP. HP France est pilote de ce programme nommé HP Revitalize.

Dans cette offre, HP propose des équipements de sa propre marque, reconditionnés selon ses propres standards. HP entend tester ce nouveau marché sur un modèle d’ordinateur portable destiné aux professionnels. Si la France a été choisie, c’est selon Aurélie Guillemette, Directrice Générale Adjointe (DGA) de HP France, tout sauf un hasard : « ce que l’on fait en France est souvent précurseur par rapport aux autres pays. Ici le marché est plutôt mature sur les questions de responsabilité sociale et environnementale. C’est un bon moyen pour HP de tester et ensuite de déployer à l’international ». 

Au service de la circularité

HP le sait, savoir reconditionner est un enjeu mais ne répond pas à l’ensemble de la problématique. « Nous voulons encourager l’allongement de la durée de vie de nos ordinateurs de quatre ans en moyenne, à sept ans » reprend Aurélie Guillemette. « C’est ce levier qui va nous permettre de mettre pleinement en œuvre notre projet de passer d’un modèle transactionnel à un modèle serviciel. »

HP intègre pas à pas l’enjeu de circularité dans son modèle, à l’instar de ikkan et Commown qui, elles, le font de manière native. Adrien Montagut de Commown dans le précédent article de ce dossier, rappelait les atouts de cette logique circulaire : « Les modèles locatifs sans option d’achat peuvent être plus vertueux, car la flotte d'appareils mis en circulation peut constituer un stock de pièces détachées. »

Ces modèles d’affaires créent de la valeur plutôt par les services associés à l’offre que par le produit. « Chez HP, nous associons des offres autour de la télémétrie, de la maintenance, de la gestion de l’IT, de la sécurité, etc. » précise Aurélie Guillemette. 

A ses yeux, les clients, grands comptes en particulier, ont un niveau de maturité suffisant pour adresser les enjeux Green IT et faire accepter ces nouvelles offres. « Nous avons de plus en plus de facilité à parler de ces sujets aux décideurs » ajoute la Directrice Générale Adjointe de HP France, « et aujourd’hui les études confirment que 90% des consommateurs plébiscitent la durabilité et la réparabilité de leurs équipements. »

Entraîner l’ensemble de la chaîne de valeur

Pour Aurélie Guillemette, l’enjeu est de travailler au-delà des offres d’équipements et entraîner l’ensemble de la chaîne de valeur dans une logique de réduction d’empreinte environnementale. « HP a pour objectif de réduire de 50% ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 », précise la DGA de HP France, « 60% de notre empreinte carbone passe par le transport, donc on travaille également sur ce levier. »

Ainsi, Aurélie Guillemette détaille l’enjeu de favoriser le transport multimodal et d’arrêter les envois au fil de l’eau pour grouper les expéditions d’équipements. Sur la partie emballages de leurs produits, HP a réduit de 44% la part de plastique depuis 2018 et compte aller jusqu’à 75% de plastique en moins d’ici à 2025. 

« Être exemplaire sur ce qu’on déploie est un moyen d’interpeller l’ensemble de la chaîne de valeurs et amener nos fournisseurs et différents partenaires à s’engager aussi » ajoute Aurélie Guillemette. À l’heure actuelle, 40% des partenaires de HP en France sont déjà engagés dans une démarche de réduction de leur empreinte environnementale aux côtés du fabricant d’équipements pour atteindre les objectifs fixés. Au niveau mondial, HP ambitionne d’engager 50% de ses partenaires à horizon 2025.

« Nos partenaires distributeurs sont en lien direct avec nos clients » ajoute Aurélie Guillemette, « nous avons une double responsabilité : notre propre transformation et celle de nos clients. 80% de notre activité passe par de la vente indirecte via nos partenaires, on se doit donc de travailler avec eux pour atteindre nos objectifs. »

Le sujet de la transition numérique est systémique et repose sur une transformation globale des activités humaines. Pour les fabricants et distributeurs de matériel, la durabilité et la réparabilité sont deux composantes liées, essentielles à l’atténuation de leur empreinte et l’adaptation de leur activité aux limites planétaires.

Alors que les initiatives se multiplient et qu’une réglementation plus ambitieuse émerge sur le sujet, il faut souhaiter que les offres de reconditionnement et les logiques circulaires se généralisent peu à peu. Au-delà des défis techniques, ce sont bien les imaginaires qu’il faut changer pour rendre désirable la réparation et le reconditionné, rapprochant de fait les enjeux du numérique responsable et de la communication responsable ;  une preuve supplémentaire, qu’en matière de défis environnementaux, il convient de ne jamais raisonner « en silo ».

Ils ont pris la parole sur GreenTech Forum 2023

Simon Guilhot (ikkan) a participé à la conférence : « Comment optimiser les ressources nécessaires à la production des équipements numériques, sur toute la chaîne de valeur ? », lors de GreenTech Forum Paris 3ème édition.

› Détails de la conférence

Adrien Montagut (Commown) et HP (représenté par Clémentine Rivoal, Responsable de la Transformation et de la Transition environnementale) étaient présents sur la conférence : « Eco-conception, reconditionnement, mutualisation des équipements : quels optimums pour diminuer le recours aux équipements numériques neufs ? », lors de GreenTech Forum Paris 3ème édition.

› Détails de la conférence

Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum

GreenTech Forum est le rendez-vous professionnel dédié au Numérique et à l'Environnement.
Organisé sous le haut patronage de Planet Tech'Care, initiative pilotée par le programme Numérique Responsable de Numeum, l'édition 2024 se tiendra les 5 et 6 novembre au Palais des Congrès de Paris.
Plus d'informations