Trouver les moyens de sensibiliser le plus grand nombre aux enjeux du numérique responsable demeure une étape clé pour les entreprises. Face au chemin à parcourir, les entreprises de services numériques (ESN) imaginent leurs stratégies pour embarquer plus largement leurs clients et les entreprises utilisatrices finales cherchent à impliquer tous leurs collaborateurs pour permettre le changement.
« Pour l’instant, on essaie d’embarquer nos clients en proposant systématiquement dans nos audits et réalisation trois outils d’évaluation pour leur permettre de saisir les enjeux autour de l’écoconception », indique Boris Fleury, Directeur des opérations de l’ESN ASI. ASI travaille depuis 2 ans sur sa stratégie pour accompagner et sensibiliser ses clients au mieux vers l’écoconception de leurs services numériques.
« Pour être efficace et lisible, on a choisi de focaliser notre proposition sur 3 outils phares et gratuits du marché : EcoIndex et les rapports Web Performance et Accessibilité via Google Lighthouse », précise Boris Fleury « ainsi pour chaque projet, nous pouvons évaluer l’empreinte des services numériques et voir la marge de progression ». Chez ASI, les projets sont objectivés selon ces indicateurs, ce qui permet d’assurer un niveau de qualité harmonisé des projets livrés.
Boris Fleury reconnaît néanmoins que la maturité des clients est très diverse. « Dans les appels d’offre de marché public, on sent que les critères liés à l’écoconception et l’accessibilité sont de plus en plus présents ; en revanche chez les petites entreprises, c’est encore peu le cas ».
Le Directeur des opérations d’ASI fait état de trois niveaux de maturité : les entreprises qui sont encore éloignées de ces enjeux, celles qui commencent et celles qui sont loin devant. Et pour ASI, il importe d’embarquer le plus grand nombre. C’est pourquoi choisir ces trois outils apparaissait comme le plus efficace. « Les entreprises les plus éloignées du sujet n’ont pas conscience de toute l’artillerie qu’il y a derrière les outils d’évaluation d’empreinte. On a opté pour quelque chose de simple pour ne pas faire peur ».
D’autant plus que pour Boris Fleury, l’enjeu n’est pas forcément la mesure la plus précise mais plutôt le chemin à parcourir. « Au début on cherche à être le plus précis possible, mais on se rend compte finalement que ce qui est important c’est l’évolution, le delta entre le point de départ et celui d'arrivée. On ne doit pas se focaliser uniquement sur la mesure à un instant T ». Des propos qui résonnent avec ceux que nous avait confiés Gaëlle Floch, référente Green IT chez Moët Hennessy.
Boris Fleury y voit plutôt un moyen de convaincre ses clients d’agir « on met ça dans la balance car c’est vertueux, cela peut permettre le passage à l’action et potentiellement ce sont des coûts en moins ». Pas au départ concède-t-il car il y a un coût au changement mais l’enjeu est de montrer l’intérêt sur le long terme. « Nos clients sont sensibles à ces arguments ».
Chez Conserto, une ESN, si les enjeux de leurs clients sont globalement les mêmes que ceux d’ASI, l’approche diffère radicalement. « Notre objectif est de sensibiliser l’ensemble de nos clients à ces enjeux pour pouvoir les accompagner au mieux », décrit Boukhalfa Zahout, Docteur en informatique et chercheur chez Conserto, « pour cela l’entreprise a fait le choix de créer le poste que j’occupe actuellement afin d’amener sa contribution à un numérique plus responsable. Pour faire face aux enjeux actuels, nous avons fait le choix d’orienter nos premières recherches sur les impacts environnementaux des services numériques, notre cœur de métier ».
Ainsi, Conserto s’est lancé dans la création d’un outil d’évaluation d’impact des services numériques. « Nos travaux se basent bien sûr en partie sur les travaux d’EcoIndex de greenIT.fr, 1byte de the The Shift Project et CO2.js de the Green Web Foundation, mais nous pouvons avoir des analyses divergentes » justifie Boukhalfa Zahout pour évoquer les différences d’écart avec les outils déjà en ligne. « Comme nos hypothèses de départ ne sont pas les mêmes, nous n’avons, de fait, pas exactement les mêmes résultats ».
Entre autres, l’outil de Conserto s’appuie sur le mix-énergétique des pays où sont localisés les serveurs d’hébergement et d’utilisation pour évaluer l’impact et pour l’instant n’affiche que l’impact carbone en eq. CO2. Même si des solutions comme EcoIndex affichent, en plus de l’impact carbone, la consommation d’eau, Boukhalfa Zahout estime un manque de contributions scientifiques et de données précises pour bien étudier ces KPI's (eau, ressources abiotiques, etc.) mais cela n'empêche pas Conserto de les étudier et de d’avancer en interne sur des pistes de modèles pour leurs évaluations.
Avec ce modèle Conserto espère avoir un outil pour sensibiliser les clients et les amener à se préoccuper des enjeux d’écoconception. Par la réalisation de son propre outil, Conserto estime qu’elle pourra mieux interpeller ses clients et développer sa crédibilité auprès d’une plus large audience puisque l’outil est disponible publiquement.
La diversité des outils apporte une dynamique certaine dans le secteur et pousse à la progression de chaque acteur. Néanmoins, l’accumulation d’outils disponibles gratuitement sur le marché, avec des écarts significatifs d’évaluation de l’empreinte des services numériques, pourrait contribuer à rendre moins lisible l’objectif final. D’autant plus que les enjeux d’écoconception, s’ils sont clairement identifiés par les plus grosses structures, ne sont pas encore prioritaires au sein de toutes les organisations.
A l’échelle d’un groupe international, le Green IT est un défi certain. Alexis Bédeneau, DSI - Holdings & Group Applications de LVMH, explique comment la mesure constitue une porte d’entrée essentielle pour sensibiliser le plus grand nombre en interne et dans toutes les Maisons du groupe. « On a une approche unique grâce au groupe de travail sur le numérique responsable, commun à l’ensemble des Divisions et Maisons de LVMH. La mesure est un point de départ important pour savoir de là où on part et arriver à notre objectif », détaille-t-il. « L’ambition est une réduction de 20% de notre empreinte carbone d’ici à 2026 ».
Cette ambition sur le volet numérique s’intègre dans un plan plus large. Il s’inscrit dans le Programme Life 360 créé par LVMH. Via Life 360, LVMH ambitionne de s’attaquer à 4 piliers : la protection de la biodiversité, la lutte contre le dérèglement climatique, l'économie circulaire et la transparence.
Afin de mener à bien l’ambition fixée, il convient de trouver les moyens d’embarquer tout le monde au sein de l’entreprise. « On a besoin de changer les imaginaires pour rendre la sobriété acceptable et de créer de l’enthousiasme. On a tenté notamment chez LVMH la communication par l’humour, en essayant de montrer, qu’avoir toujours le dernier modèle de téléphone, était dépassé » explique Alexis Bédeneau. « Est-ce que cela fonctionne ? On ne sait pas exactement mais on essaie en tout cas, et on sent une réelle mise en mouvement en interne et dans nos maisons en France comme à l’étranger ».
Cette mise en mouvement, le Directeur SI la voit aussi par l’adhésion au programme Green IT qu’il porte avec son équipe, « on sent de l’engouement pour notre programme de travail. Maintenant il faut aussi qu’on embarque les CTO [Chief Technical Officer] pour aller plus vite dans les actions que l’on entend mener. »
Un des points qui rassemblent Boris Fleury (ASI), Boukhalfa Zahout (Conserto) et Alexis Bédeneau (LVMH), c’est assurément l’importance qu’ils accordent à ne pas travailler en vase clos. Chez LVMH, le parti pris a été immédiatement de décloisonner les recherches avec la création d’un groupe de travail commun entre les Maisons.
Chez ASI, si le travail a commencé en interne, l’ambition de Benoît Fleury est désormais de s’ouvrir aux autres. « On se doit de ne pas travailler de manière isolée, c’est très important » détaille-t-il, « on va aller voir ce que font les autres, multiplier les synergies pour s’enrichir mutuellement ».
Enfin, chez Conserto, c’est en rejoignant le Collectif Boavizta, groupe de travail inter-organisations sur l'évaluation d'impacts environnementaux du numérique des organisations, que Boukhalfa Zahout souhaite décloisonner ses pratiques. « Pour nous c’est important de contribuer à un collectif. Être proche de la réalité dans les mesures nous paraît essentiel », plaide-t-il, « on va aider à améliorer le taux de précision des outils ».
Emmener le plus grand nombre, reste un défi entier pour les entreprises ; qu’elles soient des ESN qui cherchent à embarquer leurs clients ou des entreprises qui cherchent à établir un nouveau paradigme d’habitude en interne. Démontrer les enjeux, prouver les gains, amener de l’enthousiasme, partager les bonnes pratiques, créer des consensus, sont assurément des clés pour y parvenir.
Boris Fleury (ASI) est à retrouver sur GreenTech Forum 2023 lors de l'atelier : « L'impact d'un service numérique », le 22 novembre 2023 à 14h30.
Boukhalfa Zahout (Conserto) est à retrouver sur GreenTech Forum 2023 lors de l'atelier : « Comment l'IA pourra nous aider à réduire l’empreinte environnementale du web ? », le 22 novembre 2023 à 13h30.
Alexis Bédeneau (LVMH) est à retrouver sur GreenTech Forum 2023 lors de la conférence : « Comment conduire des projets numériques responsables au sein d’organisations implantées à l’international ? », le 22 novembre 2023 à 14h.
Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum