Alors que le sujet du numérique responsable émerge aux yeux d’un public élargi depuis 5 ans, la sensibilisation reste une étape essentielle pour mieux comprendre les impacts environnementaux et sociaux du numérique. Pour les organisations qui proposent des ateliers de sensibilisation, l’enjeu est bien sûr la méthode pour interpeller mais aussi la capacité à s’adresser au plus grand nombre.
« Nous avons besoin de rendre le sujet du numérique responsable plus visible auprès de tous les publics: citoyens, entreprises, politiques ». C’est pour Lise Breteau, avocate et chargée de plaidoyer de l’association Green IT, l’un des premiers chantiers du numérique responsable. Embarquer le plus grand nombre est donc encore une étape importante. Faire comprendre, avec la bonne méthode en est une autre. En somme, dépasser le débat d’experts, un enjeu majeur. Dans cette tâche, les associations sont nombreuses à se mobiliser pour transmettre les principes d’un numérique plus responsable.
« Même si le monde du numérique responsable semble rassembler beaucoup de monde, c’est encore un sujet trop peu connu auprès du plus grand nombre » constate Lise Breteau. Pour elle, il faut être attentif au manque de connaissance globale des impacts du numérique. « Les enjeux environnementaux de manière générale deviennent moins “bankables”, on risque d’assister à une plus grande résistance de la part des décideurs. Cette résistance vient beaucoup de la méconnaissance du sujet ! » explique-t-elle avec conviction.
A ses yeux, il y a aussi tout un imaginaire construit autour du numérique qu’il faut déconstruire. « le numérique est perçu comme très glamour ; que ce soit l’automatisation, l’IA [Intelligence Artificielle], tout cela est très à la mode. De fait, personne n’a vraiment envie de s’attarder sur le versant plus négatif du numérique » explique la chargée de plaidoyer de l’association Green IT, « le côté “obscur” du numérique tout le monde a plutôt envie de le mettre sous le tapis. »
L’imaginaire tient aussi à l’immatérialité construite autour du numérique selon elle : « il y a des fausses croyances sur l’impact réel du numérique. On parle beaucoup d’impact carbone, qui serait résolu par la “décarbonation” mais en réalité on occulte l’impact matière du numérique ! Or l’impact matière est le premier impact environnemental, sans compter l’impact sur l’eau ».
Autant d’arguments qui montrent tout l’enjeu d’une sensibilisation à tous les niveaux. C’est le constat partagé de Tom Lann, directeur de programme chez Latitudes, une association qui lutte contre la fracture numérique et cherche à rendre les technologies accessibles à tous et toutes : « au sein des entreprises, nos ateliers sont l’occasion de mélanger les directions, on peut constater une vraie hétérogénéité sur la connaissance des enjeux du numérique. »
La Bataille de la Tech et la Bataille de l’IA sont des ateliers phares de Latitudes pour apporter ces connaissances, et le besoin est tangible. « Avec la Bataille de l’IA mise en place en septembre 2023, les participants constatent qu’on parle d’IA tous les jours, mais beaucoup ne se sentent pas légitimes devant l’IA car ils ne sont pas sûrs des conséquences des choix qu’ils peuvent faire » explique Tom Lann.
Sans montrer s’il est bien ou mal d’utiliser l’IA mais en mettant en évidence les risques et les opportunités, Latitudes apportent les éclairages nécessaires pour que chacun puisse agir en conscience : « on sait qu’on n'amènera pas tout le monde vers des pratiques plus responsables du numérique mais on se donne la mission d’éclairer les citoyens / salariés / étudiants sur ces questions-là. On veut que tout le monde ait les clés pour faire son propre choix », détaille-t-il, « les entreprises sont aussi de plus en plus sollicitées sur ces enjeux et doivent répondre à ces nouvelles exigences. »
Pour apporter ces choix en conscience, Latitudes a fait le pari d’ateliers sans écran. « On a construit des jeux pour libérer la parole autour d’un numérique plus éthique, plus souhaitable » reprend Tom Lann. L’histoire a débuté avec les impacts de la tech (la Bataille de la Tech), puis a été déclinée sur l’IA (la Bataille de l’IA) pour en comprendre les principaux impacts et mieux la questionner. « Un des objectifs est d’apporter les éléments pour penser le développement de l’IA dès maintenant plutôt que de le faire trop tardivement comme pour les réseaux sociaux par exemple » conclut-il.
Pour l’association La Fresque du Numérique, un des acteurs historiques des ateliers de sensibilisation aux impacts du numérique, le choix est (plutôt) sans écran aussi même si l’atelier existe également dans une version en ligne. « J’ai commencé en 2020, en débutant en ligne à cause du Covid, puis j’ai poursuivi en présentiel » explique Julien Nora, membre bénévole de l’association pour animer des ateliers grands publics et aussi membre du collectif des animateurs professionnels, « je crois 100% à l’intelligence collective en présentiel. »
Pour la Fresque du Numérique, la conclusion est la même que pour GreenIT.fr et Latitudes : il est toujours essentiel de sensibiliser. « Les publics sont très variés. Certaines personnes pensent qu’elles savent, pourtant elles apprennent encore beaucoup au cours de l’atelier et il y a celles qui découvrent énormément de sujets nouveaux ; la plupart du temps, le fait que les équipements numériques représentent le plus gros impact est quelque chose que les participants découvrent » explique Julien Nora, « la plus grosse surprise assez récurrente demeure : “ah bon, ce ne sont pas les datacenters qui polluent le plus ?” ».
Pour lui, de plus en plus d’établissements de l’enseignement supérieur et d’entreprises sont demandeurs d’ateliers de sensibilisation. Et face à l’engouement, il y a tout un ensemble d’ateliers qui se sont développés. « On a un peu moins de demandes mais parce qu’il y a beaucoup d’offres désormais avec de plus en plus d’ateliers différents » reprend Julien Nora, « c’est plutôt positif car les associations abordent le sujet des impacts du numérique de plein de manières. »
Pour ce fresqueur invétéré, on est encore loin d’avoir fini la période de sensibilisation : « Jean-Marc Jancovici dit toujours que la “sensibilisation est encore un projet titanesque”, ce qui fait que je crois qu’on a encore beaucoup de raisons d’agir et beaucoup de personnes à sensibiliser ». Mais pour que le message continue à grandir et que chacun passe à l’action, la coopération est un sujet auquel la Fresque du Numérique réfléchit beaucoup.
« Au sein de l’association on se questionne sur comment faire corps ensemble pour continuer à sensibiliser le plus de personnes possibles » explique Julien Nora, « c’est pour cela qu’on fait des liens et des partenariats entre associations comme par exemple entre Latitudes et la Fresque du Numérique ». L’objectif étant de favoriser la visibilité de chacun pour mettre en valeur les différentes manières de sensibiliser aux impacts du numérique.
Pour Julien Nora, ces recherches de collaboration sont essentielles. Car pour celles et ceux qui ont été sensibilisés vient ensuite le temps de l’action. « L’une de nos grandes questions en ce moment est de savoir comment faire le lien avec le passage à l’action. On recherche donc les synergies pour le faire ! ». Un enjeu de plus pour continuer à donner du sens au travail déjà réalisé et permettre à chacun d’avancer encore un peu plus vers un numérique plus responsable dans un continuum d’actions essentielles à chaque niveau.
Lise Breteau est avocate et chargée de plaidoyer Green IT pour l’association Green IT
Tom Lann est Directeur de programme chez Latitudes
Julien Nora est membre bénévole pour animer des ateliers Fresque du Numérique grand public, membre du comité des animateurs professionnels et ex-membre du Conseil d’Administration (Juin 2024),
Lise Breteau, Tom Lann et Julien Nora sont membres du comité de programme de GreenTech Forum Paris 2024.
Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum