Suite à la 3èmeédition de GreenTech Forum Paris, et en vue de la première édition de GreenTechForum Brussels (18-19 juin 2024), retour sur ce qui s’est dit pendant l’événement avec les speakers invités sur scène à Paris.
« Je ne compte plus le nombre de workflows mis en place dans les organisations alors qu’en réalité les collaborateurs ont juste besoin de se parler ! ». Christine Ebadi, co-fondatrice du cabinet conseil en numérique responsable Holomea fait le constat, que le numérique, tel qu’il a évolué ces dernières années, est souvent devenu une solution de facilité pour beaucoup de problématiques rencontrées au sein de l’entreprise.
Face à une empreinte environnementale numérique grandissante et l’omniprésence du numérique dans tous les départements de l’entreprise, le rôle de la Direction des Système d’Information (DSI) tend à devenir de plus en plus central mais aussi de plus en plus complexe.
La transformation digitale portée aux nues pendant près de deux décennies a érigé le numérique au sein des entreprises tel un dieu guérisseur de bien des maux. Désormais, alors que les services numériques se sont déployés tout azimut dans chaque direction des entreprises, il est l’heure de venir questionner les choix réalisés pour encadrer, a minima, l’impact environnemental du numérique.
Selon les entreprises, le numérique peut représenter jusqu’à 25% - 30% de son empreinte environnementale, comme nous le confiait Laurence Jumeaux, responsable de l’offre NR au niveau monde pour Capgemini dans le premier volet de ce dossier. Si la majorité de l’impact se concentre dans le matériel, le lien entre logiciel et matériel n’est plus à démontrer : penser l’écoconception des services numériques, c’est contribuer à limiter le déploiement de nouveaux équipements. Ce travail reste néanmoins des plus compliqués tant il est tentaculaire et requiert une compétence métier supplémentaire pour toutes les DSI.
« Les DSI voient leur métier se complexifier au fil du temps » relève Richard Bury, DSI et[1] Directeur du Programme Numérique Responsable de l’ensemble du groupe EDF, « nous devons faire face aux enjeux de sécurité, de protection des données personnelles, de satisfaction utilisateur, de garantie de continuité de services ou encore, plus récemment, de souveraineté industrielle ; et désormais la brique numérique responsable vient s’ajouter ».
Pour cet ingénieur en qualité et fiabilité industrielles issu des rangs de l’Université Technologique de Compiègne intégré au groupe EDF depuis le début des années 2000, cette brique donne du sens au métier de DSI et lui permet d’avoir un rôle d’autant plus essentiel au sein de l’organisation. Il note aussi les difficultés que ce nouvel enjeu peut induire : « DSI était un métier déjà complexe, il l’est encore plus avec cette nouvelle donne. Sa transformation ne pourra qu’être progressive devant la somme de défis à relever. »
Pour Christine Ebadi, même constat :« la sécurité, par exemple, c’est désormais l’affaire de tous, le numérique responsable, pas encore mais cela viendra ! ». Pour la dirigeante du cabinet conseil Holomea, la transformation va aussi être progressive, à mesure de la bonne compréhension des enjeux, « le numérique responsable est un sujet complexe, plein de contraintes. C’est un nouvel élément qui s’ajoute à la réflexion des DSI. »
A ses yeux, pour que le numérique responsable soit intégré de manière efficace, il ne doit pas se résoudre à des problématiques individualisées. « L’enjeu numérique responsable doit être compris de manière systémique, d’autant qu’il concerne toutes les parties prenantes de l’entreprise, pour insuffler un véritable changement au sein de l’organisation ». En cela, le rôle de la DSI tend à devenir de plus en plus en plus clé.
« Avant, devant les enjeux de transition écologique, le DSI avait un rôle de spectateur, désormais, il est pleinement impliqué et son rôle devient essentiel » reprend Richard Bury. Il indique tour à tour les enjeux autour de l’IT for green et du green IT :« chez EDF, nous avons de la chance d’avoir un terrain de jeu génial avec l’énergie et plus de 30 millions de clients avec pour objectif d’aider chacun de nos clients à contrôler sa consommation. »
A titre d’exemple, celui qui est aussi Directeur des systèmes d’information et de management de la DTEO (Direction Transformation et Efficacité Opérationnelle) d’EDF cite Ecowatt dont un certain nombre d’usagers se sont emparés à partir de 2022 pour savoir à quel moment consommer de l'électricité de manière plus responsable dans le cadre du plan de sobriété énergétique.
Richard Bury rappelle également l’importance de l’IoT (Internet of Things). Les objets connectés peuvent être un outil pour améliorer les performances énergétiques des bâtiments ou encore, un allié précieux pour faire de la télémaintenance des centrales hydrauliques par exemple. « C’est autrement plus sobre que de devoir monter en 4x4 près de nos ouvrages » relève-t-il.
Le Green IT est par ailleurs un vrai sujet de “responsabilité” au niveau des métiers. Pour le Directeur du Programme NR d’EDF, la connaissance de l’impact du numérique est encore à évangéliser. Pour lui, le DSI ne peut agir seul : l’ensemble de la chaîne utilisatrice du numérique doit s’emparer du sujet. Par ailleurs, pour Richard Bury, les DSI vont, à termes, être objectivés sur les enjeux RSE du numérique, il est donc d’autant plus essentiel de prendre le sujet à bras le corps le plus tôt possible.
Pour autant, chez EDF comme ailleurs, le niveau de maturité des DSI est loin d’être équivalent. « Je dirais que c’est très fortement variable », note Christine Ebadi d’Holomea,« aujourd’hui, lorsqu’il n’y a pas une impulsion au niveau de la stratégie, on observe des poches d’initiatives dans les entreprises, il faut aller puiser là pour faire grandir le sujet auprès de toutes les parties prenantes. »
Pour la co-directrice du cabinet Holomea, les arguments sont aussi un paramètre essentiel pour motiver les parties prenantes à monter à bord, « il faut trouver les bons leviers pour convaincre, à savoir montrer que la sobriété est quelque chose qui contribue à l’efficience, à plus de rapidité des services numériques » poursuit-elle, « c’est aussi en montrant les bénéfices connexes qu’on arrivera à convaincre tout le monde de l’intérêt de la démarche. »
Pour Richard Bury, il y a une forme d’évidence chez EDF à aller vers une réduction de l’impact de chacune des activités de l’entreprise. « nous avons de la chance, la raison d’être d’EDF est centrée sur la “Décarbonisation de la société” » précise-t-il, « même si les niveaux de maturité de chacune des DSI est variable, nous avons un objectif commun clairement établi. »
Il n’en reste pas moins que le numérique se déploie à grandes enjambées dans toutes les organisations et que cette expansion n’est pas centralisée, en tout cas pour la partie services numériques. « On a mis le numérique partout sans parfois se poser de questions en amont sur le bénéfice réel et l’impact négatif potentiel »constate Christine Ebadi, « aujourd’hui, les premières étapes d’atténuation et de sobriété entreprises sont pertinentes et permettent d’amorcer l’action pour faire mieux ce qui a déjà été fait. C’est néanmoins un début et il faut aller plus loin. »
Pour elle, il convient de réellement questionner la place du numérique dans nos manières de travailler. Elle identifie notamment l’ensemble des processus qui ont été numérisés sans questionnement réel, « pour l’instant, nous sommes dans une logique de volume d’intégrer plus de services numériques ; faire moins n’est pas vraiment une option. »
Même constat pour Richard Bury au sein d’EDF, « à l’heure actuelle, toutes les directions veulent toujours plus de des services numériques et il est vrai que si on veut de la performance au sein des entreprises, attirer les bons profils et clients, il faut développer le numérique ! C’est là que la performance économique se renforce aujourd’hui! »
Richard Bury rappelle que le secteur du numérique croit d’environ 7% par an ; indique que le bilan carbone d’EDF sur la partie numérique est à plus 7% par an ;difficile dans ces conditions de parler de décroissance de l’empreinte de cette partie de l’activité. « On ne peut pas décroitre sur ce pan de nos projets liés au numérique, il faut donc accompagner le développement en responsabilité » poursuit-il « on ne peut pas forcément faire moins mais mieux. On se doit donc d’accompagner cette demande en cherchant à minimiser son impact environnemental. »
La réussite de ces nouveaux défis passera nécessairement par des changements de paradigme et la capacité des premiers convaincus à faire comprendre les enjeux du numérique responsable. « Le numérique responsable est un concept complexe, certains ne vont y voir que les enjeux Green IT alors que le sujet recouvre une réalité bien plus élargie » relève Richard Bury. Pour Christine Ebadi, même son de cloche : « la définition du numérique responsable est à préciser encore car elle recouvre des concepts très larges. »
Entre autres, pour la dirigeante d’Holomea, il faudra insister sur le nécessaire changement culturel à réaliser. Pour elle, pas de doute, l’enjeu, au-delà des optimisations techniques, est de sortir du mythe de l’exploit technologique, « Il faut répondre aux enjeux le mieux possible et de la manière la plus sobre possible. Pour cela, il faut repenser notre rapport à la technologie. »
Autant de constat qui font pleinement écho à d’autres témoignages perçus pendant le GreenTech Forum 2023 à Paris. Réinventer notre rapport au numérique s’impose comme une nécessité pour pouvoir entamer un changement global d’approche. Ce changement culturel pourrait bien servir le métier de DSI à l’avenir grâce à un déploiement plus équilibré du numérique, avec le souci de toujours questionner son impact et son utilité. Un moyen, dans le contexte d’urgence écologique, d’inverser demain le rapport de force : un numérique au service de la DSI et non pas une DSI au service du numérique ?
Richard Bury (EDF) était présent sur la conférence Numérique Responsable : « L’évolution du rôle du DSI dans la transition écologique des organisations », lors de GreenTech Forum Paris 3èmeédition.
› Détails de la table ronde numérique responsable
Christine Ebadi (Holomea) était présente sur la conférence numérique responsable : « Comment accélérer la transition écologique et solidaire dans les métiers de la Tech ? »,lors de GreenTech Forum Paris 3ème édition.
› Détails de la table ronde numérique responsable
Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum