NUMÉRIQUE RESPONSABLE | EMPREINTE

LA COMPLÉMENTARITÉ DES DÉMARCHES D'ÉCOCONCEPTION ET D'ASSURANCE QUALITÉ WEB

Avril 2024

En matière de règles et bonnes pratiques pour créer des services numériques sobres, accessibles et de qualité, une diversité d’approches existe. Plus que concurrentes, ces approches sont, selon les acteurs de ces métiers, complémentaires. C’est le cas de l’écoconception et de l’assurance qualité web. Décryptage.

L’écoconception de services numériques comme la qualité web sont des démarches qui ont une visée assez proche, avec pour objectif de servir une expérience utilisateur meilleure au service de l’activité de l’entreprise. Néanmoins, leurs approches diffèrent. L’assurance qualité web vise plutôt la prévention des risques d’erreurs de base à travers des tests unitaires sur un service numérique. L’écoconception cherche à optimiser le service en travaillant sur un double-axe : la diminution de son empreinte environnementale et l’amélioration de son impact sociétal (accessibilité, éthique, rétrocompatibilité).

Ainsi pour Amélie Poirier, Lead Designer chez Niji, une entreprise de services numériques, « l’écoconception s’inscrit dans un contexte spécifique ; ce n’est pas noir ou blanc à la différence de l’assurance qualité web qui fonctionne plutôt comme une checklist de pratiques à prendre en compte pour éviter des erreurs ». C’est là toute la difficulté de l’écoconception « Il s’agit d’une démarche holistique qui prend en compte une multitude de paramètres. »

L’assurance qualité web

Pour parler d’assurance qualité web, il fallait un expert qui connaît ces problématiques sur le bout des doigts. Élie Sloïm, dirigeant fondateur d’Opquast est à ce titre la personne toute indiquée. Élie Sloïm tire son expérience de l’industrie où la qualité est un enjeu majeur. L’intégration des risques et la recherche de la diminution de ces risques font partie intégrante des pratiques des industriels. Pour lui, il était naturel de transposer ses connaissances dans le domaine du web, dans lequel il est tombé il y a une dizaine d’années.

Le web a été perçu pendant un certain nombre d’années comme non critique au sein des organisations. C’est aux yeux d’Élie Sloïm l’une des raisons principales de la non prise en compte des standards de qualité web au sein des entreprises. Néanmoins, le numérique est désormais devenu un enjeu majeur de la plupart des entreprises avec des risques associés sur l’accessibilité, la gestion des données personnelles et désormais la consommation d’énergie. De fait, pour le dirigeant d’Opquast, les entreprises commencent à regarder de plus près les risques à ne pas faire de la qualité web.

Ce domaine d’expertise s’intéresse à la mise en place de standards incontestables qui permettent de normaliser les expériences utilisateurs afin de les simplifier, les rendre plus sûrs et de mieux servir les objectifs de conversion recherchées par les entreprises. L’assurance qualité web sert également les objectifs légaux en place ou à anticiper. Ainsi, l’assurance qualité web, entre autres, à l’accessibilité, l’empreinte environnementale d’un service numérique et la prévention des risque de cybersécurité avec des méthodes s’apparentant aux « checklists du domaine l’aéronautique ou de la construction par exemple » précise Élie Sloïm.

« L’assurance qualité web, c’est intégrer le risque dans sa démarche pour pouvoir le prévenir » poursuit-il. Ainsi, les entreprises ont tout intérêt à s’y mettre : c’est un moyen « de prendre soin de ce qu’on a ». Pour Élie Sloïm, en matière de numérique, on a tendance à « faire, détruire, refaire, développer pour rien ou encore surconsommer de l’énergie et ces habitudes ont bel et bien un impact ». « À l’heure où on parle d’IA générative et d’innovation en tout genre, il y a urgence à faire mieux ce que l’on fait déjà » reprend le spécialiste de l’assurance qualité web.

Car les risques à ne pas prendre en compte ces sujets sont de plus en plus forts entre les avancées réglementaires, l’accentuation des pressions sociétales et la professionnalisation des cyberattaques. C’est aussi un manque potentiel d’opportunités commerciales pour l’entreprise. Ne pas s’attaquer à la qualité web, c’est ne pas intégrer des briques essentielles pour contribuer à la réussite de démarches complémentaires, à l’instar d’une démarche d’écoconception.

Pas d’écoconception sans assurance qualité web

Pour les défenseurs de l’écoconception, la notion de risque revient également. « En termes d’écoconception, on évoque systématiquement avec le client, le risque business à ne pas y aller » explique Christophe Clouzeau, spécialiste de l’écoconception chez Temesis. En cela, les démarches d’assurance qualité web et d'écoconception se rapprochent. D’ailleurs, pour Christophe Clouzeau, il n’y a pas d’écoconception sans qualité web. Un certain nombre de règles de la qualité web sont prises en compte dans les enjeux d’écoconception.

Outre l’objectif, c’est donc l’approche qui diffère. Christophe Clouzeau qualifie l’écoconception de démarche d’amélioration continue. L’assurance qualité web s’applique selon une logique implacable et indifférenciée. À l’inverse l’écoconception se fait en contexte ; et aller vers un service numérique répondant pleinement à la règle des 3U (Utile, Utilisable, Utilisé), un des piliers de l’écoconception, se fait au fil du temps en fonction du service et des usages avec une revue régulière des fonctionnalités, des décommissionnements, des optimisations, voire des suppressions de contenus.

Le contenu : l’angle mort

Sur ces enjeux autour des contenus, les deux experts de l’écoconception, Amélie Poirier (Niji) et Christophe Clouzeau (Temesis) sont unanimes : le contenu est un des angles morts de l’écoconception. Le travail est souvent fait sur les fonctionnalités, la performance et l’expérience utilisateur globale mais moins sur les contenus. D’ailleurs, les tendances web et les outils d’administration des sites incitent à créer des contenus toujours plus conséquents.

En termes de décommissionnement des contenus, il n’y a très souvent aucune règle. En général, les contenus, une fois créés, restent ad vitam eternam sur un service numérique. Ce n’est que lorsqu’une démarche d’écoconception est entamée que la question peut alors se poser. Là encore néanmoins, pas de règle simple car il est souvent difficile de faire renoncer les clients à certains contenus.

Pour Christophe Clouzeau, le contenu est même le quatrième côté du triangle car en général il s’agit d’un aspect complexe à prendre en compte : plus simple de rembarquer tous les contenus déjà produits plutôt que de créer des règles pour supprimer les moins pertinents. Supprimer des contenus implique, entre autres, la mise en place de règles de redirections pour éviter “l’erreur 404”. Mais même en mettant en place ces règles utiles pour l’utilisateur et essentielles pour ne pas nuire au référencement naturel du site, les clients peuvent avoir des réticences.

Les contenus produits peuvent être une preuve de longévité de l’entreprise, un moyen de montrer son histoire, sa progression, etc. Autant de sujets sensibles qui peuvent pousser à l’inaction. Unitairement parlant, les pages, à la différence des vidéos, ne créent pas un flux de données conséquent au chargement malgré l’obésité des pages web actuelles : plus de 2,5 Mo en moyenne. Néanmoins, leur accumulation peut poser question quant à la quantité de stockage engendrée.

Cette accumulation pose aussi question en termes de capacité à donner à l’utilisateur un moyen facile d’accéder aux informations essentielles. Noyer un site dans des sommes trop importantes de contenu ne peut apporter des résultats probants. La sobriété éditoriale est néanmoins un chantier encore trop rarement abordé par les entreprises d’après nos deux experts en écoconception. Pourtant, elle est un pilier stratégique pour une plus grande efficacité des messages.

Les limites de ces démarches

Tous ces sujets amènent dans tous les cas de la complexité côté client. L’enjeu est de faire cohabiter les techniques, que ce soit qualité web, écoconception ou encore sobriété éditoriale et d’en montrer la complémentarité. Cette mission est peu simple face à des interlocuteurs qui manquent de connaissances.

Ainsi, les référentiels de bonnes pratiques se multiplient et peuvent laisser potentiellement un client dans le doute quant aux pratiques les plus pertinentes à appliquer dans son cas. Autant de risques à pousser plutôt à l’inaction que les professionnels se doivent de contrecarrer.

L’autre risque également est de venir appuyer des services numériques qui n’auraient pas une finalité soutenable. L’écoconception comme l’assurance qualité web sont des démarches qui servent les opportunités business de l’entreprise (meilleure expérience, plus de sécurité, plus de rapidité, plus d’utilisateurs touchés, etc.). Ainsi, venir avec des opportunités business pose la question de la responsabilité : au service de quoi le service numérique ainsi amélioré répond-il ?

L’écoconception et l’assurance qualité web doivent donc idéalement être appuyées par des démarches de stratégie globale qui permettent de penser l’activité de l’entreprise dans une logique soutenable. Ce n’est pas le rôle de l’assurance qualité web ni de l’écoconception, indique Christophe Clouzeau, de travailler sur ces sujets même si elle peut contribuer à une réflexion élargie. Et Amélie Poirier de mentionner qu’ « on ne sauvera pas le monde avec des sites web écoconçus ». Une manière de rappeler que si le numérique fait sa part, c’est aussi à l’ensemble de l’entreprise de se mettre en mouvement dans une transformation systémique. Seul moyen de contribuer activement à l’atteinte de la neutralité carbone à échelle européenne en 2050.

A propos

Christophe Clouzeau est Expert Green-UX chez Temesis, spécialiste écoconception et numérique responsable.

Amélie Poirier est Lead designer UI/UX chez Niji, spécialiste écoconception, numérique responsable et accessibilité.

Élie Sloïm est fondateur et dirigeant d'Opquast, spécialiste assurance qualité web.

Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum

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