NUMÉRIQUE RESPONSABLE | MESURE

Responsabilité numérique de l'entreprise : comment convaincre de l'enjeu stratégique ?

Février 2024

Face à une difficulté encore très forte à convaincre de la nécessité d’une démarche numérique responsable, Boavizta, à l’instar d’autres acteurs associatifs, se mobilise. Son objectif : tenter de mettre en avant les meilleurs arguments pour convaincre l’entreprise de passer le pas. Entre inertie et difficulté à percevoir l’enjeu final, l’évidence de se lancer tarde à émerger malgré les bonnes volontés.


Suite à la 3ème édition de GreenTech Forum Paris, les 21 et 22 novembre2023, et en vue du
1er GreenTech Forum Bruxelles, les 18 et 19 juin 2024, retour sur ce qui s’est dit pendant l’événement avec les speakers invités sur scène à Paris.

« Pour l’instant, on est encore loin de véritables stratégies numérique responsable ». Julien Rouzé, membre de l’association Boavizta spécialisée sur les enjeux d’évaluation de l’empreinte environnementale du numérique et co-fondateur de Sopht, un outil de pilotage de la décarbonation de l’IT, est plutôt lucide sur l’état de l’art des stratégies numérique responsable.

Si les entreprises sont globalement volontaires pour entrer en transition, les démarches sont la plupart du temps perçues comme des contraintes et non des opportunités. Résultat : les avancées restent timides et les hiérarchies difficiles à embarquer. Pour lever une partie de ces freins, Boavizta a publié fin 2023 un livre blanc se focalisant sur les arguments à avancer pour convaincre sa hiérarchie de mettre en œuvre une stratégie numérique responsable.

Des arguments pour convaincre

Dans ce travail, Boavizta cherche à atteindre un double-objectif. Avec un livre blanc “dirigeant centric”, c’est-à-dire orienté sur les besoins des décisionnaires, Boavizta entend donner à celles et ceux qui opérationnellement tentent tous les jours de faire avancer la démarche numérique responsable dans leur entreprise, les arguments les plus forts pour convaincre leur hiérarchie. « Avec notre livrable, nous voulons donner les moyens, les arguments, les ressources à une personne engagée d’aller voir son DSI ou son dirigeant pour montrer ce qu’il y a à potentiellement gagner avec le numérique responsable » explique Océane Puech, membre du Conseil d’Administration de Boavizta, co-rédactrice du livre blanc “Convaincre sa hiérarchie” et dirigeante de Greenscale, une entreprise de l’ESS travaillant sur les enjeux du numérique responsable.

Le second objectif de Boavizta est aussi de s’adresser directement aux personnes décisionnaires dans l’entreprise. L’étude a été pensée pour trouver les arguments auxquels sera sensible le top management. Et en faisant le choix d’un document au format PDF à la mise en page bien léchée, l’association explique avoir privilégié une forme qui pourrait le plus parler à cette cible.

Facile à prendre en main, le livre blanc permet de se saisir de quatre arguments principaux : la réglementation, le ROI (Return On Investment) financier, la différenciation et la marque employeur. Ces quatre arguments ont été identifiés par Boavizta comme les principaux facteurs de considération de l’enjeu numérique responsable au sein de l’entreprise.

Pour arriver à ces conclusions, l’association s’est appuyée sur une enquête quantitative constituée de 85 répondants et les interviews de 15 entreprises pour étayer le questionnaire. « On sait que l’étude est mieux disante sur le niveau de maturité des entreprises que la réalité car les répondants sont pour beaucoup issus de notre réseau, donc plus engagés dans une démarche numérique responsable que la moyenne des entreprises » confie Julien Rouzé, co-rédacteur du rapport, « en soit, ce n’est pas très grave, l’enjeu était surtout de dégager les principaux facteurs d’aide à la décision. »

Dans le détail des chiffres, le livre blanc rapporte que les facteurs ont été à l’origine de la démarche numérique responsable des répondants à hauteur de :

- 62% pour la Marque employeur.

- 53% pour la Différenciation ;

- 38% pour le ROI financier ;

- 12% pour la Réglementation.

L’étude rappelle bien sûr que la motivation première des répondants est “les préoccupations environnementales” (93% des répondants), mais de préciser que cela ne semble pas être un argument suffisant pour les entreprises qui n’ont pas encore démarré leur démarche. De fait, c’est souvent les arguments complémentaires qui vont convaincre les entreprises de passer à l’action.

Cet élément est vrai pour l’ensemble des domaines de la stratégie RSE de l’entreprise. La mise en action n’est possible que lorsqu’il y a des risques avérés pour le business de l’entreprise. Ce point devient aujourd’hui de plus en plus saillant et, comme le rappelait Christophe Pham, co-fondateur d’Infogreen Factory, speaker lors de GreenTech Forum 2023, dans un précédent article : « OVH, avec la montée des eaux, comme Google avec la sécheresse, et d’autres dans de nombreuses situations similaires, sont clairement en risque par rapport à ces phénomènes climatiques » et de conclure « ce ne sont plus seulement des signaux faibles ».

Du factuel, des chiffres

Malgré les chiffres obtenus, Boavizta ne souhaite pas s’en tenir là. « C’est encore difficile d’avoir des éléments bien précis, on reste encore trop en surface du sujet », précise Julien Rouzé, « on va continuer le travail amorcé et aller voir les entreprises les plus avancées dans leur démarche pour avoir du ROI sur ce qu’elles retirent de leur démarche NR. »

Pour convaincre les autres entreprises, Boavizta aimerait aller trouver du côté des entreprises pionnières les arguments essentiels et résultats chiffrés pour faciliter le passage à l’action du plus grand nombre. « On veut pouvoir parler le langage du top management » renchérit Julien Rouzé, « insister sur le fait que si on investit dans le numérique responsable, on peut avoir des résultats positifs ».

Pour cela, Boavizta sait que l’enjeu se joue aussi dans l’évaluation du travail réalisé. « L’évaluation ne doit pas être un frein à l’action mais on voit bien qu’elle devient plus que nécessaire à un moment donné de la démarche » note Jérôme Rideau, contributeur sur le rapport, consultant en numérique responsable et professeur de Technologie en lycée. Et l’évaluation est utile pour plusieurs raisons. D’abord, elle permet de mieux prioriser les actions à mener et mieux cerner les impacts une fois que les premières grandes actions faciles à mettre en place ont été réalisées. La seconde est que l’évaluation permet d’avoir des chiffres : c’est ce qui permet de convaincre les décisionnaires, les plus à même de faire avancer significativement l’entreprise dans la transition.

L’engagement de la direction, le facteur clé

« Quand il y a un green manager on voit bien que les choses vont plus vite ! » rappelle Jérôme Rideau. Pour Boavizta, pas de constat différent que les autres organisations interviewées dans ces colonnes. Quand le top management impulse une réelle volonté de transition, tout est plus simple à mettre en œuvre sur le plan du numérique responsable. « Lorsqu’il y a un petit groupe de personnes qui essaie de mettre en place une démarche, cela fait avancer un peu l’organisation mais il n’y a pas forcément la légitimité et cela rentre difficilement dans les priorités du quotidien des collaborateurs » précise Océane Puech.

Et si le mouvement est en marche, Boavizta constate que dans l’ensemble tout n’avance pas très vite. Le besoin de formation reste criant pour que les actrices et acteurs concernés maîtrisent réellement les enjeux. « Il y a beaucoup de personnes qui rejoignent Boavizta dans l’optique de se former et de progresser sur les enjeux du numérique responsable » explique Océane Puech.

Sans compter que Boavizta s’inquiète globalement du décalage entre la perception et la réalité de l’impact des actions. « Les entreprises ont conscience de l’impact business potentiel et de la réduction des coûts matériels avec l’adoption d’une démarche numérique responsable mais l’engagement n’est pas encore suffisamment là » rappelle Jérôme Rideau, « on voit certains de nos interlocuteurs très concernés mais malgré leur bonne volonté, le périmètre des actions restent restreints alors que eux ont l’impression d’avoir déjà beaucoup entrepris en matière de réduction d’empreinte de leur SI. »

Au-delà du numérique, c’est bien sûr la transition globale de l’entreprise qui est en réalité difficile à mettre en œuvre. C’est aussi le constat que partage Boavizta. C’est bien une mise en mouvement systémique qui permettra aux entreprises de réussir la transition vers un numérique responsable. Mais bien souvent les objectifs à court terme dirigent l’action de l’entreprise par nécessité de répondre aux exigences des actionnaires d’une part et par peur de perdre des clients et ne plus être en capacité de payer les salaires à la fin du mois d’autre part.

De la contrainte à l’opportunité

Tant que ces sujets seront perçus comme une contrainte, avec une difficulté à en percevoir les bénéfices, personne n’aura envie d’y aller et surtout personne n’y verra l’intérêt. Ce type de livrable, comme celui de Boavizta sur le thème du numérique responsable, peut permettre de faire avancer les entreprises. Dans un contexte de plus en plus instable, où les limites planétaires sont de plus en plus perceptibles, les entreprises commencent à comprendre peu à peu que la pérennité de leur activité est menacée à moyen terme.

Comme toujours, l’anticipation des changements à venir ne peut qu’être bénéfique pour les entreprises. Choisir plutôt que subir. Les motivations à se transformer sont chaque jour plus importantes si on les perçoit. Les réglementations vont continuer à s’intensifier - la CSRD en est un exemple type et l’attente des nouvelles générations est toujours plus forte sur ces enjeux.

En choisissant de se mettre en transition, l’entreprise active un levier fort de différenciation. Outre les économies financières trouvées grâce à des systèmes d’information plus résilient, ce sont aussi de nouvelles opportunités business qui s’ouvriront grâce à une approche audacieuse et désormais valorisée par les parties prenantes, elles-mêmes de plus en plus concernées par ces nouveaux défis. Celles qui sauront s’adapter plus rapidement que les autres, autant sur le versant numérique que sur l’ensemble de leur activité, seront les entreprises gagnantes de demain avec des modèles d’affaires plus résilients, cohérents et réellement alignés avec leurs raisons d’être.

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Pour continuer ces travaux autour du livre blanc “Convaincre sa hiérarchie” et pour l’ensemble de son action, Boavizta est continuellement en recherche de nouvelles personnes souhaitant s’investir bénévolement dans l’association. Vous pouvez les contacter à cette adresse : contact@boavizta.org

A propos

Océane Puech est fondatrice de Greenscale qui se donne pour mission de rendre accessible l'expertise en développement durable auprès de petites structures (TPE, PME, collectivités) dans toutes les régions françaises. Elle est membre du Conseil d’Administration de Boavizta et co-rédactrice du rapport “Convaincre sa hiérarchie” pour Boavizta.

Jérôme Rideau est consultant en transition bas carbone et numérique responsable (Slow Tech Consulting), professeur de Technologie en lycée et contributeur sur le rapport “Convaincre sa hiérarchie” pour Boavizta.

Julien Rouzé est co-fondateur de Sopht, Solution SaaS B2B pour la décarbonation de l'IT 🌱et co-rédacteur du rapport “Convaincre sa hiérarchie” pour Boavizta.

Auteur de l'article : Rémy Marrone pour GreenTech Forum

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